On dirait le Sud, le temps dure longtemps.
Un bébé chouette, un papillon, un furet, un chien dangereux, un cheval et deux adolescent·es : ça commence comme un film animalier.
Pouf pouf.
On entre dans cette œuvre en suivant les mouvements gauches d’une adolescente, Luna, qui en piste un autre, Giuseppe, jusqu’à pouvoir lui exprimer maladroitement ses sentiments. Les quelques images animalières rehaussent cette sensation faite à la fois de vigueur et de tâtonnements, ce sentiment de suivre des êtres pas complètement finis et qui ont pourtant une éternité devant eux.
Peu à peu néanmoins, les pièces du puzzle, éparpillées par une narration non linéaire, se mettent en place, dans les décors magnifiques d’une Sicile préservée, entre village ancien et collines sauvages. La Sicile est en effet l’autre personnage central de cette histoire où l’héroïne s’affirme à travers une quête initiatique inattendue, passant de la révolte face à l’absurde de la disparition et la couardise des adultes à la fuite dans un univers intérieur parallèle, devant l’amère impuissance.
Partiellement inspiré par un fait divers abject lié à l’attentat qui a coûté la vie au juge Falcone, ce film parvient à créer un climat bien éloigné des films habituels de mafieux, un peu à la façon d’un Guillermo del Toro traitant du franquisme dans deux de ses œuvres, entre réalisme sordide et onirisme salvateur, sans tomber dans le pathos facile. La caméra de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza parvient en effet à rendre tangible, réaliste, la perception et l’imaginaire de Luna, la jeune héroïne admirablement interprétée par Julia Jedlikowska. Sabine Timoteo, en mère austère et froide, lui offre une réplique parfaite, éclipsant les autres personnages, à l’exception peut-être de Loredana (Corinne Musallari), l’amie et complice de Luna.
Par moment, la musique lente d’Anton Spielman épouse à ce point la beauté des images qu’on finit par s’évader du double enfermement dont Luna et Giuseppe sont victimes, chacun à sa façon. Certaines tonalités ne sont pas sans rappeler le minimalisme mystique d’un Arvo Pärt, glissant sur le reflet d’un lac ou la brume d’une colline boisée, en passant par le ressac à la nuit tombée.
Au final, ce Sicilian Ghost Story transcende, sans les dénaturer, un fait divers criminel abominable et une histoire d’amour adolescente, sans qu’on sache où se situe la réalité, où le fantasme. Un film d’une beauté formelle à tomber.