On sort de ce film dans un état de malaise et on se demande pourquoi la critique a été dans l’ensemble élogieuse. En tout cas, si on commençait déjà à trouver du bon au régime végétarien, il faudra basculer sans tarder dans le véganisme de stricte obédience car ce qui est montré ici du sort des vaches élevées pour leur lait est effrayant. Bien sûr, les deux principaux humains à l’écran sont bons et même beaux, mais la grande réussite du réalisateur est de savoir filmer les vaches qui sont ses meilleures actrices (non créditées au générique d’ailleurs). Toujours de près, la plupart du temps à huis clos, dans des situations critiques : accouchement, traite mécanique, maladie, agonie, enterrements variés. Cependant, et même si on comprend qu’elles ont droit au taureau, et non à l’insémination artificielle, la classique scène de saillie (de « La terre » de Zola à la « jument verte » d’après Marcel Aymé) nous est épargnée. Que faut-il en penser ? Dans le doute, on félicitera le réalisateur d’avoir évité un cliché. Et d’avoir traité la boulangère avec la même pudeur.
Thriller, drame psychologique ? Pour qu’on accroche, il aurait fallu plus d’ouvertures dans le scénario, qu’à certains moments on ait pu espérer autre chose que la catastrophe annoncée.
La qualité « documentariste » du reportage chez un petit éleveur n’enrichit pas la narration. Dommage. Un peu d’information et d’expertise sur les problèmes actuels de l’élevage et sur le traitement de la maladie de la vache folle n’auraient pas nui à l’intérêt d’un tel film. Ou, faute de faire dans la dentelle, le gentil petit Charuel aurait pu manger un peu de la vache enragée du grand méchant François Ruffin pour politiser le débat.
Certes, le petit paysan actuel se sent abandonné de tous quand son exploitation bat de l’aile, mais l’environnement qui l’écrase est ici dépeint de manière floue. Rien n’est dit de l’historique de la maladie de Kreuzfeld-Jacob (farines animales, laxisme britannique), ni sur les politiques publiques mises en œuvre pour contenir l’épidémie et indemniser les victimes. On s’étonne ici que notre petit paysan entreprenne un long périple en Belgique pour y mettre son troupeau à l’abri alors que ce pays, à la différence de la France, n’a pas indemnisé les éleveurs dont les animaux ont été abattus. Le désespoir de l’éleveur belge est justifié par des causes objectives ; celui du Français est plus complexe : il se coupe de la société : ses copains, ses copines (la boulangère est dépeinte avec tant de dérision…), de ses parents, et même de sa sœur (anti-boulangère garçonne exerçant une profession libérale).
Il faudrait revoir, entre autres, Biquefarre et Farrebique, et plus récemment les «profils paysans » de Depardon, pour - peut-être - comprendre comment les lumières de la sociologie rurale ont été phagocytées par le documentaire animalier dans la représentation de ceux qu’on appelait jadis les « paysans ».