Quand quelqu’un change de voie pour parler de quelque chose qu’il connait, cela donne "Petit paysan", film totalement inattendu et pourtant grand gagnant de la 43ème cérémonie des César (2018) avec trois récompenses (les plus convoitées) sur huit nominations. En effet, après avoir grandi dans le milieu de l’élevage bovin à des fins de production laitière, Hubert Charuel est venu nous parler des difficultés rencontrées par les éleveurs touchés par le fléau des maladies qu’on ne sait ni soigner, ni enrayer si ce n’est de prendre des mesures pour le moins radicales. Seulement quand on ignore le passé du réalisateur, au fur et à mesure que se déroule l’histoire, on se demande où il veut en venir : défend-il les mesures gouvernementales ? Les condamne-t-il ? Après tout, le parti pris est facile d’un côté comme de l’autre ! De ce fait, le spectateur est en droit de s’attendre à une œuvre empreinte de manichéisme. En réalité, excepté le missile envoyé l’air de rien quant à la lenteur à laquelle les indemnités sont délivrées, Hubert Charuel ne prend fait et cause pour personne, se contentant de montrer la dure réalité des choses, en exposant sans doute tout ce que petit paysan a pu envisager dans un cas comme celui qui nous a été exposé ici, simplement motivé par la peur de voir son exploitation ruinée en moins de deux et son avenir s’enfoncer dans une nuit incertaine. Surtout quand on n’a toujours fait que ça, constat habilement évoqué soit dit en passant. Il en ressort un ton assez pessimiste, une absence totale de note d’espoir, comme pour annoncer que la suite des événements est inéluctable. Pourtant on se prend à espérer pour ce petit paysan, lequel cherche de tout son cœur à sauver son troupeau et donc l’exploitation héritée de ses parents vivant encore sous le même toit, comme si ces derniers voulaient veiller jusqu’à leur dernier souffle sur le travail de toute une vie. J’en connais quelques-uns dans ce cas de figure : toute la famille sous le même toit. Devant cette volonté farouche de ne pas subir le même sort que certains confrères, s’installe une paranoïa, jusqu’à aller chercher la moindre information utile sur la toile. C’est tout à fait compréhensible. Dans la peau de ce petit paysan, on reconnaîtra aisément Swann Arlaud. Par ce rôle, il confirme tout le bien que je pense de lui, sans compter que je trouve qu’ici, il a véritablement la tête de l’emploi. Encore que ça ne suffit pas : il faut aussi savoir faire preuve d’humilité et de respect envers les agriculteurs pour parvenir à convaincre. Eh bien le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il est convaincant ! Il est admirable de simplicité et de justesse. Mieux, on dirait presque que c’est un vrai agriculteur de la France profonde : quelques marmonnements, un entier dévouement envers son métier, un investissement total dans son rôle de protecteur vis-à-vis de ses bêtes, un caractère relativement taiseux, de la maladresse dans les relations humaines, une peur viscérale qui le tenaille au point de lui provoquer des réactions cutanées, tout y est. Et quand je dis que tout y est, c’est que tout y est, y compris les souffrances des bêtes, magistralement accompagnées d’une musique lancinante. A en déchirer les tripes si on aime les animaux. Non rien n’a été oublié, comme l’entourage du personnage principal : les parents, un peu trop collants, à tel point qu’ils s’immiscent dans la vie privée de leur rejeton (quand je dis « ils », ce n’est pas tout à fait vrai, car je ne veux pas non plus rentrer dans les détails) ; mais aussi les rapaces qui guettent le naufrage pour acheter tout ou partie des terres ; des amis qui refusent de comprendre le mode de fonctionnement d’un monde qui leur est étranger (j’ai beaucoup aimé la scène du bowling, dont l’épilogue fort n’est guère surprenant suite à la façon dont l’un d’entre eux s’impose pour l’apéro). Et tout cela filmé avec beaucoup de simplicité et de justesse, tout comme le jeu de l’acteur principal du reste. Ce premier long métrage d’Hubert Charuel, une réussite donc ? Hélas il y a quelques maladresses, des tiroirs intéressants à explorer qui ont été refermés aussi vite qu’ils ont été ouverts. L’exemple le plus flagrant se trouve dans l’immobilisme de certains, que ce soit de la part de l’agent appelé pour la première fois par la vétérinaire, ou que ce soit de la part des forces de l’ordre. De même que l’avertissement de la contrôleuse laitière laissé lettre morte… là, je m’interroge. J’ai lu aussi par ailleurs que certains déploraient la disparition pure et simple de la boulangère. Peut-être ont-ils raison, dans le sens que ça aurait pu apporter une autre dimension à cette triste affaire. En ce qui me concerne, je le vois autrement : le petit paysan a bien trop à faire pour laisser une place quelconque aux relations humaines, quelles que soient leur nature. Je trouve la preuve de ma théorie par la non-réponse aux messages accumulés sur le répondeur. En revanche, j’ai noté quelques maladresses de la part du réalisateur, notamment en ce qui concerne la première scène avec la gendarmerie : le tutoiement, la demande de corruption… Hormis le mal-être évident de Pierre Chavanges, on n’y croit pas une seule seconde. Après il y en a qui fustigent ce film car ils considèrent qu’il ne reflète en rien le monde des agriculteurs. D’une part ces gens oublient la jeunesse du réalisateur. D’autre part, au sein d’un même corps de métier, les paysans peuvent être très différents les uns des autres. Comme la taille de leur exploitation, ou de leur nature. Ce film ne peut donc être représentatif de tous les exploitants agricoles. En conclusion, "Petit paysan" est un film intéressant en bien des points, notamment par l’immersion dans le quotidien de ce petit paysan rendue possible par une caméra intimiste. En tout cas, je trouve ce premier long métrage très encourageant pour Hubert Charuel.