En 1967, le sociologue Henri Mendras publiait « La fin des paysans », l’ouvrage qui fit du bruit, ne prédisait rien de moins que la disparition de la civilisation paysanne et son remplacement par une civilisation plus technicienne et l’émergence du métier d’agriculteur… Plus que le contenu du livre, c’est son titre qui marquera l’esprit des français… étant moi-même ces années là, jeune sociologue engagé dans plusieurs études sur la paysannerie bretonne, ce livre fut pour moi une découverte. Cinquante ans après, ce sont pourtant des paysans qu’a filmés Christophe Agou, photographe français vivant à New-York .Pendant plus de dix ans, entre 2002 et 2012, il est revenu dans son Forez natal filmer ces paysans que nous retrouvons dans « Sans adieu ». Christophe Agou étant décédé en 2015, ce sont ses assistants qui ont monté ce film. Pas d’unité de temps dans ce documentaire, on y voit apparaitre Patrice Drevet à la télévision, qui ne présente plus la météo depuis des années…la confusion entre le franc et l’euro est encore fréquente…on y voit Claudette, 75 ans, célibataire et mademoiselle Font pour l’administration, Jean Clément victime d’un soupçon d’ESB et qui voit partir son troupeau à l’abattoir..Raymond, célibataire lui aussi qui ne se remet pas de la mort de son frère avec lequel il a partagé sa vie…Agou a filmé cette désolation rurale, ces corps vieillis avant l’âge, brisés et usés, cet isolement, cette solitude affective, ce manque d’hygiène et de confort, cet état d’abandon, ces intérieurs sales et surencombrés de vieilleries et paperasses, ces bâtiments agricoles que l’on ne peut plus entretenir, ces cours de ferme, véritables dépotoirs, où les vieilles voitures servent de poulaillers…ces poules, ces chiens et ces ribambelles de chats qui circulent dans les pièces... cette boue qui envahit l’exploitation…à coté de cela , ces difficultés administratives auxquelles ils sont confrontés s’ils veulent passer la main…Tous ont largement l’âge de la retraite ( sauf Jean-Clément) mais il faut vendre les terres et les bêtes à des conditions qui permettent d’assurer cette retraite…..C’est filmé avec une profonde empathie, souligné par la musique lancinante de Stuart A. Staples….on sent l’attachement de Christophe Agou pour ces gens, ces paysages….il a su filmer leur dénuement sans les trahir, guider par son expérience de photographe…la précision de ses cadrages, cette distance proche du toucher, témoigne de sa tendresse et de la confiance qu’il a su établir au fil du temps…Devons nous pour autant regretter ce monde en voie d’extinction ? Personnellement je n’ai jamais été adepte du « C’était mieux avant » , ces paysans viennent d’un monde auquel ils sont profondément ancrés et ont du mal à comprendre le monde d’aujourd’hui bien qu’ils en soient parfaitement informés…c’est bien un monde qui s’éteint, mais plutôt que de verser une larme, je préfère retenir l’image finale de Claudette, qui a finit par céder sa ferme pour habiter une jolie maison de plein pied au village, propre et confortable…et vue sur les champs !!!