Après un génial périple ferroviaire dans une Corée de Sud en proie à une infection de morts-vivants, Yeon Sang-ho revient par la case Netflix pour son deuxième long-métrage en prises réelles et s'empare cette fois des codes du film de super-héros pour continuer à mettre en lumière les dysfonctionnements sociétaux de son pays.
Ayant bu une eau de source contaminée par une mystérieuse météorite, un père maladroit et absent depuis des années se met peu à peu à développer des pouvoirs télékinesiques. À la suite d'un drame, il retrouve sa fille et rentre en résistance avec elle et ses voisins afin de sauver le restaurant dont elle est propriétaire face à la menace d'une bande de mafieux travaillant pour un grand groupe de construction...
Encore bien plus offensif que "Dernier Train pour Busan", "Psychokinesis" va cette fois placer la satire sociale au coeur de son sujet en mettant l'accent sur la voix inaudible des classes inférieures dans la société sud-coréenne. Ignorés par l'ensemble des autorités et subissant de plein fouet la violence des puissants (eux-mêmes au service des intérêts du voisin tentaculaire chinois comme c'est très rapidement évoqué) par l'intermédiaire de malfaiteurs, les commerçants de cette galerie marchande populaire sont ainsi balayés de leurs boutiques dans l'indifférence totale et ne peuvent compter que sur leur collectif pour continuer la lutte face à des adversaires dont ils ne verront au final que les exécutants. Il faudra la venue de ce père s'improvisant super-héros pour qu'ils aient enfin l'opportunité de pouvoir combattre à armes égales avec le géant qui s'oppose à eux de sa présence écrasante de bulldozer commercial.
D'ailleurs, ce héros très imparfait naîtra après avoir lui-même envisagé égoïstement de sortir de sa condition très précaire en s'enrichissant grâce à ses pouvoirs et, lors de retrouvailles houleuses, la première chose qu'il conseillera à sa fille sera de renoncer, d'accepter cet état de fait et de rester à sa place. Sur ce dernier point, "Pychokinesis" dresse aussi de manière sous-jacente un intéressant portrait de la condition féminine sud-coréenne : devant cette jeune fille prête à défier le système pour sauver son restaurant symbole de son succès professionnel (les commentaires du faux reportage d'ouverture qui s'en étonnent sont assez assassins) se dresse son parfait doppelgänger qu'elle ne croisera en fait jamais, la directrice générale de ce groupe immobilier (la géniale voleuse de scènes Jung Yu-mi) qui, elle, a choisi sciemment de perdre son humanité pour privilégier son ascension dans les plus hautes sphères.
À la manière du film de zombies pour "Dernier Train pour Busan", ces dérives de la société sud-coréenne sont donc fondues cette fois dans le moule du film du super-héros... mais un moule bien entendu très éloigné des standards US du genre.
Épousant complètement la personnalité de ce père pas très adroit et un peu lourdeau, "Psychokinesis" est bien évidemment traversé d'une bonne dose de second degré le maintenant constamment à une échelle humaine pour ne pas tomber dans la caricature de figure surpuissante classique qui trahirait ses intentions de départ. Cette approche donne donc un mélange de registres très divertissant et font du film une offre à la fois d'une différence bienvenue et plus proche des canons du cinéma asiatique.
Néanmoins, sur ce plan, "Psychokinesis" souffre tout de même de défauts qui lui confèrent un caractère un brin plus anecdotique que "Dernier Train pour Busan".
S'il est toujours amusant (et si l'on excepte les deux excellents passages avec la directrice), le film n'est jamais réellement drôle, bloqué quelque part entre les excès agaçants de certains de ses acteurs et une folie qui n'explose pas en totalité.
L'émotion de la relation en chantier entre ce père et sa fille est bel et bien là (la très jolie dernière scène par exemple) mais, si l'on repense à toutes les larmes que le final du précédent film de Yeon Sang-ho a pu engendrer, la comparaison fait hélas très mal à "Psychokinesis".
Enfin, pas toujours servie par des effets spéciaux somme toute assez limités, la réalisation efficace de Yeon Sang-ho fait le spectacle (même le grand spectacle en l'occurence lors de la dernière partie) mais lasse à cause des affontements répétitifs de ce "super-héros" où les corps de ses adversaires ne cessent d'être balancés sur de nouveaux arrivants jusqu'à l'overdose.
"Psychokinesis" n'en reste pas moins une proposition de film de super-héros différente, très divertissante et jouant habilement de son discours de fond très critique à l'égard d'une société moderne qui marche sur la tête. Seulement au vu de la claque cinématographique prise devant "Dernier Train pour Busan", les attentes conséquentes que l'on pouvait avoir autour de "Psychokinesis" ne s'en retrouvent que partiellement récompensées.