Bien entendu c'est un film très intéressant -et assez terrible sur la vie en Tunisie, ses hôpitaux en sous effectif, ses commissariats où la brutalité est normative, et aussi sur une société assise sur ses principes, pour laquelle une jeune fille qui se promène en minijupe au milieu de la nuit ne peut être qu'une femme légère.... cependant, le film de Kaouther Ben Hania aurait été plus convaincant s'il avait été élagué -c'est un peu long et répétitif et surtout, moins caricatural.
Mariam (la gironde Mariam Al Ferjani) est étudiante, elle vit dans un foyer et elle participe à l'organisation d'une soirée de son université dans un grand hôtel de Tunis en bord de mer, rythmes orientaux et pas d'alcool; une amie lui prête une robe -elle a fait un accroc à celle qu'elle portait- manifestement, ce n'est pas le style de robe qu'elle porte d'habitude, mais elle se sent jolie; à la soirée il y a un garçon qu'elle ne connait pas; il lui plait (c'est vrai qu'il est très beau garçon, Youssef, Ghanem Zrelli), elle lui fait des avances, ils se retrouvent en train de s'embrasser sur la plage..... et c'est le drame. Une voiture de flics s'arrête, Youssef est menotté -ils essayent de lui soutirer de l'argent- et deux policiers violent Mariam.
Avec une succession de plans-séquences, on suit cette nuit de cauchemar pour Mariam qui veut porter plainte, accompagnée par Youssef; la personnalité du jeune homme n'est pas très claire; c'est un militant politique, dans quelle mesure assiste t-il Mariam parce qu'il est gentil et veut l'aider, dans quelle mesure s'en sert-il comme instrument contre le système? On ne le saura pas.
A l'hôpital où les urgences sont débordées, il se passe longtemps avant qu'une infirmière à foulard ne la prenne en pitié et accepte de la guider vers..... mais vers qui au juste? Une élégante jeune gynécologue affirme que ce n'est pas du tout de son ressort. Reste le légiste, qui n'a pas le droit de s'occuper d'elle -c'est la loi, expression qui reviendra souvent- tant que le dépôt de plainte n'a pas été enregistré. Perdue au milieu de la foule des malades, hommes et femmes à foulard, elle porte sa robe trop brillante, trop courte, trop décolletée comme la couronne d'épine d'un Christ que personne ne plaint. Et c'est vrai que, sortie de son contexte, cette robe, elle fait un peu pute.....Tout au long de ces allers /retours entre le commissariat, l'hôpital, Mariam trouve un peu plus d'aide chez les femmes -mais pas beaucoup plus.
Tout est fait pour qu'elle renonce, les menaces (elle a été trouvée dans une position obscène qui lui vaudrait plusieurs années d'emprisonnement -ça nous ramène à une affaire toute récente dont on a beaucoup parlé sur les réseaux sociaux!), le chantage à la famille, la honte pour elle qu'entraînerait le procès, la moquerie de ses origines provinciales, la fibre patriotique.... rien y fait. La jeune fille passe par des phases de terreur, de désespoir, elle ment aussi parfois, elle cherche à s'enfuir, puis revient dans son idée fixe: porter plainte contre ses deux agresseurs. Elle nous fait penser à Qiu Ju, la femme chinoise du beau film de Zhang Yimou..... Quant aux flics, ils cherchent avant tout, non point tant à protéger leurs collègues qu'à sauver la respectabilité de leur profession. Et c'est là que la charge est forte: parmi cette dizaine de brutes ricanantes, il n'y en aurait qu'un qui fait preuve d'humanité....
Mais ça s'est mieux terminé pour la vraie Mariam (Kaouther Ben Hania s'est librement inspirée d'une histoire vraie qui a fait l'objet d'un livre) que pour la pauvre Qiu Ju: ses deux agresseurs ont été condamnés à de lourdes peines de prison.
La réalisatrice a fait un film féministe, au delà du contexte maghrébin. Elle dit aux filles: si vous vous battez pour vos droits, si vous ne renoncez jamais, la société avancera. C'est un appel au courage, qui lui aussi résonne singulièrement dans le contexte actuel. A voir, donc, malgré les défauts évoqués dans le premier paragraphe.