À quatre vingt-dix ans passés, Claude Lanzmann retourne en Corée du Nord caméra à l'épaule. Jeune communiste enthousiaste, il s'y était rendu en 1958 et y avait fait une étonnante rencontre.
Papy nous montre ses diapos de vacances en racontant ses souvenirs de jeunesse. Ce pourrait être assommant. Sauf que Papy s'appelle Claude Lanzmann et que ses vacances se déroulent en Corée du Nord.
On parle beaucoup ces temps ci de la Corée du Nord et de la menace nucléaire qu'elle fait peser sur la paix dans le monde. Quelques rares journalistes ont pu se rendre dans ce pays ubuesque et en ramener des témoignages étonnants (ainsi de l'Américaine Barbara Demick). Mais faute d'autorisation, le pays n'avait quasiment jamais été filmé. On en voit quelques images glanées depuis un véhicule qui traverse Pyongyang. Des images presque banales - mais comment aurait-il pu en être autrement - d'une métropole aux avenues immenses et désertes ponctuées de monuments à la gloire de la dynastie des Kim.
Lanzmann commente ces clichés touristiques d'une voix malrucienne qui, selon les tempéraments, agacera ou envoutera. On n'y apprend pas grand chose, ni sur l'histoire de la Corée du nord, ni sur le sort catastrophique de ses habitants (récemment illustré par l'excellent documentaire "Madame B. Histoire d'une nord-coréenne"). C'est peu dire que l'auguste fait montre de beaucoup d'indulgence à l'égard du régime des Kim. On aurait attendu de lui plus de profondeur dans l'analyse et plus d'objectivité dans la critique.
C'est peut-être que son propos est ailleurs. Moins dans le présent - ou l'avenir - que dans le passé que ce nonagénaire obsédé par la mort revisite sans cesse. Il s'agit d'un épisode de sa vie qu'il a relaté dans son autobiographie - agaçante ou envoutante selon les tempéraments - "Le Lièvre de Patagonie". En 1958, alors qu'il participait à une mission française en Corée du nord en compagnie de quelques indécrottables staliniens, le jeune Claude Lanzmann eut un coup de foudre pour une infirmière venu lui piquer la fesse. Déjouant la protection policière qui l'accompagnait, il réussit à l'embrasser, à lui fixer rendez-vous au bord de la rivière et à l'embarquer sur un canot. Non sans lyrisme, le vieux Lanzmann raconte cet épisode rocambolesque face caméra dans toute la seconde partie du film.
On est partagés. D'un côté, cette histoire triviale d'un dragueur qui veut à tout prix culbuter une infirmière serait presque gênante façon "Papy veut pécho en Corée du Nord". De l'autre, on ne peut s'empêcher d'être ému de l’œil émoustillé avec lequel, au crépuscule de sa vie, un homme revenu de tout revit la passion qui l'embrasa jadis.
Si le titre évoque surtout la guerre du Vietnam, dans ce film d’une heure quarante, il est question (si peu) de la Corée du nord où le réalisateur de Shoah revient pour la troisième fois. Il en est resté à ses premiers choix politiques quand le martyr subit par la Corée lui faisait accepter, voire chérir les pires règles staliniennes. Le récit de son histoire d’amour avec une infirmière, conté dans les plus infimes détails, dans une langue précise, prend tout son temps. Prend trop son temps : alors le narcisisme du personnage devient envahissant, venant après les images autorisées mais sans intérêt de la République Populaire et Démocratique, en ses statues monumentales, ses alignements de chars pris à l’ennemi et ses avions écrasés. Ses sidérantes indulgences envers le régime le plus autoritaire de la planète paraissent irrémédiablement datées, figées, comme ce très bref épisode amoureux qui mettait en danger la belle. Il n’a pas ma palme.