Le film s’ouvre sur Bongwan errant nuitamment dans sa cuisine sur une musique lancinante, grinçante, usée et cyclique comme le sillon maintes fois parcouru d’un vinyle rayé. C’est Hong Song-soo lui-même qui en est l’auteur et on l’entendra cinq fois. Chaque occurrence ultérieure coïncidera avec une nouvelle charge de désespoir sur les épaules de Bongwan, qu’il soit traité de lâche ou de menteur par l’une ou l’autre des femmes, qu’il pleure de ridicule après son sport matutinal ou qu’il regarde partir la séraphine Areum par la porte de son bureau. Dès la première scène, le désespoir est là chez ce séducteur pas encore hors-jeu, mais déjà conscient de l’impasse de sa vie. Bloqué au stade esthétique selon Kierkegaard, il ne peut choisir entre les femmes. Le stade éthique serait d’un choisir une, et le stade religieux de penser ailleurs.
Cette journée particulière dans la vie de Bongwan occupe les 4/5e du film mais le titre attire l’attention sur « l’après »* que l’on imaginerait marqué par une évolution ou une compréhension. Il n’en est rien : Bongwan n’a rien appris, rien retenu. Il est une fourmi dans un vortex qui ne saisit aucune des brindilles qui passent à sa portée. Lorsque sa femme l’interroge posément sur une éventuelle maitresse, derrière sa lassitude il hésite entre mensonge et mise à table, puis se réfugie derrière un rictus vaguement ironique. Est-ce un salaud, un lâche ou un faible ? De changer le premier n’a pas le désir, le deuxième pas le courage, et le troisième pas la force.
Hong Sang-soo nous laisse le choix sur ces hypothèses, mais pas sur la médiocrité de Bongwan. Elle touche même son autorité intellectuelle, jetant le doute sur la valeur des prix littéraires qu’il gagne. Ni beau, ni bon, ni juste, ni intelligent, ni à l’écoute, il n’est pas même comique. Il n’y aurait rien pour nous extraire de l’ennui des situations prédéterminées s’il n’y avait les femmes : au moins battantes, au mieux divine.
Hong Song-soo multiplie donc les bizarreries : un personnage principal au pouvoir de séduction incompréhensible, une journée particulière qui n’a aucune conséquence, un titre qui attire l’attention sur rien, et l’irruption de l’ange Areum, flottant au-dessus de la morne médiocrité comme le sauveur humble et christique du marasme humain. Un peu manichéen, tout de même.
Elle ne sauvera personne, malheureusement. Si ce n’est, peut-être, le spectateur… si sa foi douce et ses questions pertinentes résonnent en lui.
Ce plaidoyer chrétien peut aussi être vu sous l’angle de la propagande, mais s’il pouvait m’arriver un jour de succomber, autant que ce soit par un joli film.