Etant donné que Matteo Garrone, révolté et même effrayé par la dérive populiste de plusieurs pays (à commencer par sa chère Italie qui devient fascisante) a voulu, a t-il dit, avec ”Dogman” qu’on y voit une métaphore politique, j’avoue, après avoir vu le film, que le résultat ne pas pas enthousiasmée plus que ça.
Après avoir pris connaissance de plusieurs commentaires sur différents sites et revues, il me semble que beaucoup plus de spectateurs retiendront du film bien davantage une rage individuelle qu’une insurrection collective.
Je craindrais, par conséquent, que Matteo Garrone n'ait pas choisi une histoire si bien appropriée que ça pour illustrer le message socio-politique qui voulait être le sien et ce, même si, comme certains l’ont écrit (et ont beaucoup épilogué sur le sujet) ”la présence des chiens allégorise la part animale de l’Homme”, etc.
Je partage le point de vue de ceux qui ont trouvé que mettre dans les rôles principaux deux personnages aussi caricaturaux réduisait beaucoup son optique.
Enfin, je veux être honnête aussi et reconnaître que certains chroniqueurs (amateurs comme professionnels) ont visé juste puisqu’on peut lire : ”Dogman est un drame humain âpre et amer, chargé de nihilisme, qui apporte une réponse féroce à l’avènement du populisme en Italie” (Julien Dugois/avoir-alire.com).
Matteo Garrone s’est servi pour ”Dogman”, à la base, d’un fait divers remontant à la fin des années 1980 à Rome (l’assassinat de Giancarlo Ricci par Pietro De Negri) et a opté heureusement pour une version beaucoup moins trash que le film ”Rabbia Furiosa - Er Canaro” de Sergio Stivaletti sorti en 2018 (adaptation inspirée du même fait divers).
De plus il est quand même à préciser qu’au générique de fin, il est noté que le film doit être considéré comme une fiction et non comme une reproduction des faits.
Heureusement qu’il y a cette mise au point autant souhaitable que surtout honnête). En effet, les déclarations de Pietro De Negri n’ont toutes été en fin de compte que des aveux délirants hallucinatoires. C’est la preuve objective de l’autopsie, par la suite, qui a permis de nier sa version qui n’était, en fait, qu’une déposition de faits délirants entièrement inventés, entrainée par des troubles paranoïaques et une forte intoxication à la cocaïne.
Giancarlo Ricci, en effet, n’a pas été torturé pendant 7 heures. Il n’y a eu aucune mutilation à l’exception de plusieurs doigts coupés, et qui l’ont été tous post-mortem. G. Ricci est mort entre 30 et 40 minutes, décédant, suite à plusieurs coups de marteau, d’une hémorragie cérébrale. Son gabarit ne lui permettait pas de rentrer dans une cage et aucune trace de sa présence n’a d’ailleurs été trouvée dans aucune cage.
Sur la scène du crime, quatre empreintes différentes (pieds) ont été relevées. Il est vraisemblable que Pietro De Negri n’ait, en fait, jamais été seul. Certains sont allés jusqu’à dire qu’il n’a même pas mis un seul doigt sur G. Ricci. Il aurait eu comme rôle de l’attirer dans un piège ordonné par d’autres (bien plus puissants que lui). Bref, je ne vais pas recopier tous les articles sur cette sombre affaire, il suffit de lire la véritable histoire sur plusieurs sites Internet. La mère de Giancarlo Ricci, Vincenzina Carnicella, n’a pu obtenir la saisie du film à sa sortie mais avait demandé au réalisateur, par le biais de son avocat, Maurizio Riccardi, des dommages et intérêts et la réouverture de l’enquête.
Pour en revenir au film Dogman, il mérite d’être salué pour ses prises de vue. Il offre quelques plans superbes, même si les filtres ne manquent pas, le résultat est plutôt séduisant.
Le tournage a eu lieu à 25 kilomètres de Naples, dans la province de Caserta au Villaggio Coppola qui fut l'un des exemples les plus scandaleux (même hallucinants) de constructions illégales en Italie.
C’est à ce même endroit que le réalisateur avait tourné déjà plusieurs scènes de L’étrange Monsieur Peppino ainsi que plusieurs scènes de Gomorra.
Ce paysage rongé par la misère, dévasté, comme oublié du reste du monde, qui personnifie à lui seul la désolation convient superbement au pathétique de la situation.
La musique qui les accompagne convient parfaitement aux scènes, tant Glue de BICEP que Italove (Emmanuelle Moulinho) pour les scènes en boites de nuit ou ”Il cielo in una stanza” de Mina pour les scènes plus attendrissantes montrant Marcello & sa fille.
Malgré cette énumération de points positifs, le réalisateur a opté pour 2 personnages principaux qui frôlent un peu trop la caricature, je le répète, et c’est à ce niveau là que le bât blesse. Du moins, où pour moi il y a eu plus qu’un problème.
Tout d’abord physiquement : Marcello Fonté est un ”mélange” de l’acteur comique italien Toto et de Buster Keaton (certains ont ajouté de Luis Rego aussi).
on ne peut qu’avoir de l’empathie pour ce gentil petit bonhomme. Avec son physique si atypique, on le plaindrait presque dès qu’on le voit. Or, j’avoue que j’ai plus souvent eu envie quand même de le secouer plutôt que de vraiment m’apitoyer sur son sort.
Marcello Fonte joue de manière satisfaisante (la Palme d’Or pour son interprétation ne me semble pas surestimée) mais ce qui m’a désappointée fut l’excessive gentillesse de son personnage. Avec son asservissement, son absence totale de malice, son indéfectible sourire , j’y ai souvent vu plus une innocente stupidité (oligophrénie ?..) qu’une admirable bonté d’âme.
Matteo Garrone lui même a d’ailleurs dit au sujet de Marcello : c'est un personnage qui a une grande humanité, un désir de s'affirmer et sa propre personnalité. Son sens de la justice le pousse à faire des choix mais il est aussi guidé par une attitude infantile, naïve.
Quant à Simoncino, je partage l’avis de Jacques Mandelbaum dans ”Le Monde” : ”L’histoire d’un toiletteur pour chiens trafiquant à ses heures est l’occasion pour Matteo Garrone d’alerter sur les dérives populistes de son pays. Voir Simancino, pour trancher le mot et s’excuser platement auprès d’Edoardo Pesce, c’est un peu voir, tant la ressemblance est troublante, une réplique contemporaine, lumpenprolétarisée et trash de Benito Mussolini.”.
Il est vrai que Matteo Garonne aime exposer l’exagération des différences physiques. Dans le film ”L’étrange Monsieur Peppino” (en 2002) nous y avions déjà eu droit (cf. "avec Marcello Fonté, face à Edoardo Pesce, monstrueux dans le rôle du bourreau bas du front, on retrouve là la fascination de Garrone pour la disproportion (cf. Anne-Claire Cieutat/Rédactrice en chef de BANDE A PART magazine).
Dans Dogman nous avons même droit à plusieurs plans (volontairement choisis) pour, comme s’il ne suffisait pas au naturel, accentuer le petit gabarit de Marcello, (Marcello Fonte) entre les mains de Simoncino le mastodonte qui le domine (Edoardo Pesce). J’ai entendu un spectateur à la sortie de la salle, manifestement déçu, dire que s’il (M.Garonne) avait pu prendre Arnold Schwarzenegger et Peter Dinklage ,c’est à croire qu’il l’aurait fait”.
J’ai trouvé le plan final un peu long mais réussi quand même. Marcello qui rêvait d’être porté en triomphe se retrouve avec à ses pieds comme seules présences son chien et le cadavre de Simoncino.
Lui qui espérait tant une reconnaissance, elle ne s’avère qu’illusoire, et dans ce paysage lugubre, avec son regard à l’expression pathétique, il est plus que jamais seul.