« Elvis has left the building ». Cette phrase qui servait à disperser les admirateurs d’Elvis Presley à la fin de chacun de ses concerts, Sandrine (Ophélia Kolb), professeure d’anglais et maman célibataire, en explique la signification à sa fille Amanda (Isaure Multrier) âgée de 7 ans. Le chanteur s’en est allé, plus besoin de l’attendre. Ce faisant, elle n’imagine pas que, bientôt, c’est elle-même qui quittera non pas seulement un « building » mais ce monde et que c’est la petite Amanda qui devra se résoudre à ne pas l’attendre, car on ne revient pas du pays des morts.
Le thème du deuil, le réalisateur Mikhaël Hers l’avait déjà exploré en 2016 avec un film tout en finesse intitulé « Ce sentiment de l’été ». Il y revient aujourd’hui mais en le reliant à de terribles faits d’actualité, ceux des attentats qui ensanglantèrent Paris en novembre 2015. Il y revient aussi en prenant le temps et, pendant toute une grande première partie du film, avant que ne survienne la tragédie, en familiarisant le spectateur avec un ensemble de personnages, tous très attachants : Sandrine et Amanda, mais aussi et surtout David (Vincent Lacoste), le frère de Sandrine, ainsi que Léna (Stacy Martin), la voisine de ce dernier avec qui il ne tarde pas à flirter. David, très pris par ses deux jobs, la location d’appartements pour touristes et l’élagage des arbres du 20ème arrondissement de Paris, n’en trouve pas moins du temps pour aider sa sœur en allant, par exemple, chercher la petite Amanda à sa sortie d’école (quitte à arriver en retard et à se faire ensuite gourmander par Sandrine). On devine néanmoins la complicité qui unit tout ce petit monde.
Or voilà que tout est bouleversé le jour où David, allant à la rencontre de Sandrine et Léna qui sont parties se promener dans le bois de Vincennes, y découvre un carnage. Des terroristes ont tiré sur tous les passants qui se trouvaient à leur portée. Les corps ensanglantés gisent sur la pelouse. Quelques plans sur le massacre puis sur l’entrée de l’hôpital Tenon suffisent à faire percevoir l’ampleur du désastre. Plus tard, la même sobriété, la même pudeur sont au rendez-vous lorsqu’il s’agit pour David d’expliquer à sa nièce Amanda que sa mère est au nombre des victimes. Ces qualités, le cinéaste ne les abandonne jamais, parvenant ainsi à réaliser un film qui est un bijou de délicatesse.
Pour David, jeune homme de 24 ans quelque peu « adulescent » comme on dit, les décisions à prendre ne vont pas de soi. Elles engagent sa liberté. Hormis une tante qui donne volontiers un coup de main et sa mère qui vit à Londres et qu’il n’a pas vu depuis dix ans, il n’y a que lui pour prendre la charge de la petite Amanda et devenir son tuteur (voire l’adopter). À moins, bien sûr, de placer l’enfant dans une institution accueillant des petits orphelins, solution que le jeune homme envisage pendant quelque temps. Mais la relation qui se noue entre l’oncle et la nièce ne peut laisser de place à une telle perspective. Rien ne va de soi pourtant, l’enfant fait des cauchemars et se rebelle lorsqu’elle constate la disparition d’objets dont se servait sa mère, et cependant quelque chose se construit qui ne s’explique pas. Il faut même, pour David, accepter de renoncer à des satisfactions immédiates, lui qui fait le voyage jusqu’à Périgueux dans l’espoir d’en revenir avec sa bien-aimée Léna qui, blessée au cours de l’attentat et, bien évidemment, traumatisée, a préféré s’éloigner de Paris. En fin de compte, c’est au cours d’un voyage à Londres, projeté avant l’attentat du bois de Vincennes, qu’apparaissent en évidence les sentiments ambivalents qui habitent le cœur d’Amanda.
Là, dans le stade de Wimbledon, ses yeux sont baignés de larmes tandis que, de sa bouche, s’échappent des rires. Larmes de douleur causées par la perte d’une maman, rires de joie parce qu’avec la présence affectueuse de son oncle la vie et le bonheur sont toujours possibles.