On les suit quotidiennement dans la presse, ces fermetures soudaines d’usines pourtant bénéficiaires, ces travailleurs lessivés, oscillant entre dégoût et colère, bien conscients d’être considérés comme de vulgaires outils jetables, cette novlangue ultralibérale qui feint de ne pas comprendre la détresse humaine et se retranche derrière la sacro-sainte logique du Marché, ces cadres supérieurs molestés qui vagissent sur le “refus du dialogue”, technique dans laquelle ils sont pourtant passés maîtres : on la suit, cette lutte sociale éternelle, on la comprend, on la soutient...mais dans un monde où l’image n’est jamais meilleure que quand elle est romancée, cela ne peut pas faire de mal de la voir “incarnée”. Dans un contexte malheureusement beaucoup trop familier, un délégué syndical se bat pour que les travailleurs soient entendus, que les accords passés soient respectés, que les donneurs d’ordre sans visage viennent sur le terrain rencontrer ceux dont les moyens de subsistance vont être réduits à néant. Inévitablement, le dialogue de sourds vire à l’épreuve de force, les dérapages salissent un mouvement légitime avec la complicité active des médias, la justice et l’état s’efforcent de trouver une voie médiane, prisonniers eux aussi de règles de droit conçues pour protéger les intérêts des possédants. Après ‘La loi du marché’, la caméra nerveuse de Stéphane Brizé élargit la lutte d’un homme à celle d’une classe, ou d’un fantôme de classe, déchiré par des visions divergentes de leur rapport au patronat. Comme dans le film précédent, tout est tourné sur le vif, façon reportage, pour rendre justice à l’urgence de la lutte de ces salariés qui risquent de perdre le peu qu’ils ont. Comme dans le film précédent, Vincent Lindon est le seul acteur professionnel du film, les autres sont, à peu de choses près, ce qu’ils sont dans la vie réelle, et les dialogues sont majoritairement improvisés, seules des consignes générales ayant été données au casting. Alors que la récurrence de ce lent grignotage des acquis des luttes sociales passées en arrive à ne plus provoquer que des hochements de tête désabusés et fatalistes, il n’est pas inutile de s’attarder sur un film qui montre, crûment, la réalité humaine dissimulée derrière le flux continu de l’actualité et la gestion technocratique : je dirais même que c’est impératif.