Finalement, parmi les 4 films français présents dans la compétition cannoise, il y avait un très grand film, un film qui méritait largement la Palme d'or. Non, il ne s'agit pas de "Plaire, aimer et courir vite", film dont le défaut principal est de manquer de naturel, encore moins de "Les filles du soleil", film dont la façon hollywoodienne de traiter le sujet des combattantes kurdes contre Daech frôle l'obscénité, et encore moins "Un couteau dans le cœur", film navrant cherchant avant tout à choquer sur les tournages de films pornos gays en 1979. Non, il s'agit de "En guerre" de Stéphane Brizé, un film qui donne la rage et qui, lui, regorge de naturel sur un sujet malheureusement d'actualité : les délocalisations et les luttes menées par des travailleurs pour sauvegarder leurs emplois. L'an dernier, on avait apprécié la façon pleine de vérité avec laquelle Robin Campillo, dans "120 battements par minute", nous introduisait dans les AG de Act-up du début des années 90. Mais alors là, que dire ? On est vraiment de plain pied dans les discussions entre les syndicalistes et les patrons et dans les querelles entre membres du personnel : d'un côté, celles et ceux qui, sachant ce qui les attend si leur usine ferme, veulent aller jusqu'au bout pour conserver leur emploi, de l'autre, celles et ceux qui, assez vite, abandonnent en cachette la lutte pour essayer de glaner de plus grosses indemnités de départ.
Une des grandes forces du film réside dans son absence de manichéisme. Au point qu'on peut penser qu'il est fort possible que chacun verra les idées qu'il avait au départ renforcées à la vision du film : si celles et ceux qui soutiennent les luttes des travailleurs contre un monde économique de plus en plus injuste n'auront aucun mal à être tout au long du film du côté de Laurent et de Mélanie, les leaders CGT de l'usine, il est probable que les partisans du compromis repartiront avec l'idée que la CGT est malmenée dans le film (j'ai entendu la remarque lors du Festival de Cannes !) et tout à fait possible que les tenants du libéralisme économique soutiendront que les seuls à faire preuve de maturité sont les représentants de la direction.
Autres grandes forces du film : le montage avec des phases de calme venant s'intercaler entre des phases liées à la lutte et l'interprétation, avec, bien sûr, un Vincent Lindon tout bonnement exceptionnel dans le rôle de Laurent et, par ailleurs, des acteurs et des actrices non professionnel.les absolument criant.e.s de vérité. On détachera en particulier Mélanie Rover, époustouflante dans le rôle de Mélanie.
Avec "En guerre", film proche du cinéma vérité, venant après du très différent mais tout aussi réussi "Une vie", Stéphane Brizé montre qu'il est actuellement le réalisateur français le plus complet et le plus talentueux. Qu'un tel film soit revenu bredouille de Cannes ne peut qu'amener à se poser des questions sur le sérieux d'une telle compétition !