Si le best-seller de J.D. Vance une constante, l’engagement de Ron Howard en est donc la variable dans une adaptation qui tente, maladroitement, de dépeindre une Amérique Profonde. Bien que l’on ne puisse amputer de la personnalité dans son support littéraire, il reste bien des choses à combler, notamment dans les fossés générationnels que le récit exploite et suralimente à outrance. L’autobiographie de Vance perd ainsi toute la substance de crise qu’elle hurle, car elle ne parvient pas à être filmée comme une odyssée. Mais plus important encore, il nous sera rarement donné l’occasion de participer au caractère authentique de l’ascension. Nous cherchons ardemment cette fiabilité et nous la rechercherons encore dans les ultimes instants, censés réconcilier les esprits, mais à la surprise du spectateur, il sera le fameux délaissé d’une histoire aussi indigeste qu’oubliable.
Il manque fatalement de la chair dans cette famille qui n’a pas plus de fonctions qu’être dysfonctionnel pour la caricature. Pourtant, l’intention est ailleurs, mais alors où ? Sans doute dans une charte de reconstitution épineuse, afin de ne pas heurter la sensibilité et la cohérence de la jeunesse de J.D. (Gabriel Basso). L’enchaînement des péripéties, voire des anecdotes, témoignent toutefois d’une paresse de mise en scène et d’un aspecta aléatoire dans le miroir d’un univers que l’on cherche à nous présenter à l’état brut. Au lieu de cela, il sera très compliqué de lier deux temporalités sur la base d’une émotion, à la fois mélancolique et alcoolique. Oui, l’ivresse fait également partie des valeurs que partages une famille qui n’arrive évidemment à communiquer. Si un rapport de domination vient entrevoir nos espoirs d’un développement saisissant, ce sera à l’opposée que l’on se trouvera, démuni dans un glamour qui sonne faux et qui nous laissera surtout sur le palier de chaque problématique. Et quand bien même il ne s’agit que d’une seule forme de maladie, qui campe dans la cellule familiale depuis des générations, il y a un moment où les traditions s’éparpillent dans les crocs de la modernité.
Entre l’insécurité sociale qui enterre un peu plus ceux qui tentent malgré eu de survivre et le fauteuil confortable d’une classe aisée, mais ignorante, il y avait de la place pour bâtir une solide cristallisation d’une nation, plus que jamais en proie au doute et à ses propres valeurs, d’ordre religieux ou politique. Malheureusement, c’est un vide qui s’installe au-dessus d’une narration qui feint l’immersion et qui feint tout l’aspect ludique qui devrait s’en dégager. Et s’il fallait seulement se soumettre à ces absences, afin de nous confronter à l’humanité dans son habitat hostile et toxique, Bev (Amy Adams) manque de nous rassurer dans son angoisse et sur l’emprise qu’elle a sur ses enfants, comme sur ses aînées. En parallèle, sa fille Lindsay (Haley Bennett) est rongée par son envie d’assumer sa fuite et son émancipation par le mariage. Hélas, ce qui coule dans les gènes est bien plus fort que tout, à tel point qu’une interdépendance persiste à ramener chacun membre vers son remords. De même, la matriarche Mamaw (Glenn Close) incarne la droiture et inspire un respect qui ne sera qu’au service d’une empathie des plus discrète.
Les incompréhensions continuent de manquer et « Hillbilly Elegy » (Une Ode Américain) marche dans une toute autre crasse que celle qu’elle tente de décrire. Le montage cultive également de la lourdeur dans des propos, qui ne fait qu’avancer en justifiant des actes. Pire encore, Howard manque de capturer cette face cachée d’une Amérique qui ne vit pas uniquement dans le traumatisme. C’est bel et bien un récit horrifique, dont il valait mieux aborder à une échelle adaptée plutôt que de priver la vision symbiotique de toutes nuances, et même de sens. Ainsi, cet échec surligne un peu plus cette distance qui sépare le cinéaste de ses sujets.