L’homosexualité, le SIDA et la mort. Mais sans une once d'indécente geignerie. Avec bien au contraire la valorisation d’une forme de pudeur orgueilleuse, de dignité très aristocratique, peut-être nietzschéenne, dans le rapport à la souffrance et à la déchéance. Une manière de célébrer la vie jusqu’en son crépuscule, de suivre sur leur fil les danseurs funambules qui lui disent "oui" jusqu’à la fin, y compris en se suicidant dès qu’il n’est plus possible de vivre. Car "vivre", pour un esthète hédoniste comme Jacques ou comme Arthur, c’est tout sauf subsister dans l’être-là semi-végétatif d’une vie sans flamme, sans passion, c’est tout sauf s’accrocher à l’existence vaille que vaille. "Vivre", c’est jouir, vibrer, saisir l’intensité fugace de l’éphémère, céder au jaillissement électrisant de la pulsion, se risquer dans l’ivresse des escapades et des passades, se désaxer et s’exalter dans la fiévreuse dissidence du désir d’illimité, laisser venir le frisson romanesque de l’égarement, sentir l’élan du cœur dans les frémissements du corps, cueillir les fleurs d’amour et de soyeuse volupté même si elles naissent dans l’antichambre de la mort … Et il s’agit de l’assumer, sans jamais feindre de s’en dissocier, contrairement aux jouisseurs clivés qui cherchent à se laver de ce qu’ils font, à s’excuser de ce qu’ils sont. Belle vigueur d’âme que celle d’un Jacques ou d’un Arthur. Mélange d’intégrité altière et de distanciation. Avec un net dédain pour l’indécence des geignards, pour leur posture victimaire. La vraie « fierté gay » ? Peut-être. Le film de Christophe Honoré n’en est pas moins très agaçant. D’abord parce qu’il épouse le point de vue d’un petit entre-soi de libertins intello-snobs que même le plus violent des homophobes verrait d’abord comme des « pédants », à moins qu’un jeu de mots involontaire ne les lui fasse traiter de « pédéants » ?! Parmi les scènes crispantes, l’échange téléphonique au cours duquel Arthur, qui a laissé sa dernière proie (un jeune autostoppeur) en standby dans sa chambre, reçoit de Jacques un éclairage de connaisseur sur les « 4 types de blonds », soit une version snobinarde (Whitman, Ginsberg, Auden sont convoqués) de la typologie du vieux baiseur impénitent. Certes, on en perçoit l’humour et le raffinement. Mais également la cuistrerie. "Cul-istrerie" ?! De plus, même saupoudrée d’intelligence et de clins d’œil aux beaux esprits, la sexualité consumériste d’un Jacques ou d’un Arthur n’a pas la profondeur tragique du vrai donjuanisme. Par ailleurs, et de manière plus générale, Christophe Honoré se complaît trop dans l’étalage des références. Certaines scènes du film en sont rendues artificielles et gauches. Par exemple, il y a celle où l’un des trois meilleurs amis rennais d’Arthur rebondit sur l’idée de « cruauté » en récitant par cœur tout un passage de "Dans la solitude des champs de coton", de B.-M. Koltès. Quant au personnage d’Arthur, ses airs narquois, son assurance de joli freluquet et sa petite morgue de lettré peuvent finir par fatiguer. Sans doute aussi est-ce l’acteur (Vincent Lacoste) qui en fait trop dans ce registre. Enfin, le film est exagérément soucieux de nous montrer en quoi des gays fantasques et libertins peuvent en même temps se montrer fiables et responsables. C’est le sens de la scène où Arthur, en directeur de colonie de vacances, sermonne son équipe de moniteurs fêtards. C’est aussi le sens des allusions aux qualités de Jacques en tant que père. Heureusement, les faiblesses et les travers de "Plaire, aimer et courir vite" sont pour partie compensés par la finesse du jeu d’acteur de Pierre Deladonchamps (Jacques) et de Denis Podalydes (Mathieu, voisin-ami de Jacques). Pour finir, la plus belle scène du film est celle, sublimement hallucinatoire, où Jacques, pourtant seul dans son bain, prend dans ses bras la dépouille dénudée de son ex-compagnon, Marco. Étreinte macabre, sépulcrale, mais d’une tendresse infinie.