"Le Cauchemar de Dracula" fut, en 1958, l’un des premiers coups d’éclat des studios anglais Hammer. Une fausse suite ("Les maîtresses de Dracula") lui a été donnée deux ans plus tard, avec le retour de Peter Cushing en Van Helsing mais pas celui de Christopher Lee, ni même du personnage de Dracula (malgré le titre trompeur !). Il a, ainsi, fallu attendre 1966 pour voir, enfin, le retour du Comte et de son légendaire interprète dans un film qu’on pouvait redouter comme étant purement mercantile dans ses motivations… mais qui s’avère être une bonne surprise, qui a su prendre ses distances avec le premier opus. Il faut dire que, après un résumé des événements de ce premier épisode (images à l’appui), les scénaristes ont osé se passer de Van Helsing qui, certes, manque cruellement mais qui permet l’éclosion d’autres personnages… à commencer par celui de Dracula ! Rappelons que l’un des défauts majeurs du "Cauchemar de Dracula" était le traitement de son vampire star, pas forcément raté mais bien moins iconoclaste qu’on aurait pu l’espérer, notamment dans son dernier tiers. Ici, Dracula occupe incontestablement sa place de menace terrifiante, que ce soit avant sa résurrection (les villageois qui vivent dans la terreur au point de vouloir planter un pieu dans le cœur des morts récents, son château dont l’existence même est niée…) ou après son retour (en transformant chaque crépuscule en danger imminent). C’est, sans doute, la plus grande force de ce "Dracula, Prince des ténèbres" qui, par le biais d’une intrigue, de personnages archétypaux et d’une BO parfaitement adaptée (James Bernard à la baguette), parvient à retranscrire l’essence même du personnage dans l’imaginaire collectif, avec son statut de menace locale et son attirail habituel (les dents acérés, les yeux injectés de sang, la cape noire doublée de rouge, le cercueil…). A ce titre, l’histoire, ô combien habituelle dans les productions horrifiques, de ce groupe d’étrangers (ici des Anglais en voyage dans les Carpates) s’égarant à la nuit tombée a proximité du château de Dracula où ils vont être accueillis à "bras ouverts" pourrait faire sourire tant il apparaît caricaturale aujourd’hui mais elle s’inscrit parfaitement dans cette logique d’iconisation du personnage qui s’était fait un eu bouffer la vedette par Van Helsing jusqu’à présent. D’ailleurs, les futures victimes du Comte ne sont pas dénuées d’intérêt, à commencer par Barbara Shelley en belle sœur pénible et, surtout, l’excellent Francis Matthews qui campe un jeune héros insouciant et terriblement sympathique qui tranche avec les jeunes premiers falots qui pullulent habituellement dans ce genre de productions. Même la méconnue Suzan Farmer présente un intérêt tant son personnage de jeune épouse nunuche repoussent les limites de la cruchitude, ce qui est plutôt drôle à voir aujourd’hui. Il serait, par ailleurs, injuste d’oublier les prestations de Andrew Keir en prêtre protecteur, de Philip Latham en sinistre serviteur et de Thorley Walters en esclave du vampire (qui n’est pas sans rappeler le Reinfeld du roman). "Dracula Prince des ténèbres" est, également, l’occasion, pour la Hammer, d’enfoncer le clou de la représentation frontale de la violence, notamment, lors
d'une scène d'égorgement assez rude (pour l’époque) où se déversent des litres de sang bien rouge
, ce qu'on avait rarement vu jusque là… Idem pour la sexualité, certes plus évoquée que montrés ici mais qui commence à devenir un peu plus explicite
(ah le déboutonnage de chemise de Dracula qui offre sa poitrine à sa victime…)
. Le film n’est, malgré tout, pas parfait et souffre, notamment, des stigmates de son époque, tels que des effets spéciaux parfois limites (voir les plans flous sur le château… même s’ils participent au charme de l’ensemble) ou, plus gênants, un rythme parfois discutable (voir la résurrection en plan fixe qui parait ne jamais finir… même si l’envahissement progressif par le fumée a une certaine gueule). Et puis, j’ai toujours un peu de mal avec la représentation de Dracula par Christopher Lee qui a le mérite de proposer quelque chose de nouveau par rapport à Bela Lugosi (qui avait figé, jusque-là l’image du vampire dans l’inconscient collectif) mais que je trouve quand même perturbant avec sa vulnérabilité
(voir son premier face à face avec Charles où il semble apeuré)
. Cette fragilité est, pourtant, plutôt bien vue puisqu’elle rappelle que le monstre à des faiblesses et n’est pas indestructible… mais elle tranche un peu trop avec la menace qu’il représente par ailleurs, ce qui manque un peu de cohérence, surtout pour un personnage censé être une icône privée de tout sentiment (je ne dirai pas la même chose si les scénaristes avaient fait le choix de s’intéresser aux tourments intérieurs du vampire, comme Coppola plus tard). Mais, mise à part ces quelques menus défauts, "Dracula Prince des ténèbres" est une réussite qui remplit parfaitement son rôle et qui est restée, à juste titre, comme l’une des meilleures productions de la Hammer.