Assassination Nation raconte le quotidien de 4 lycéennes (Lily, Sarah, Bex et Em), bouleversé lorsque les données personnelles des habitant.e.s de leur ville sont piratées et dévoilées au grand public. Entre chasse aux sorcières du 21ème siècle et American Nightmare , Assassination Nation dépeint d’explosion d’une société névrosée aboutissant à un survival divertissant et très bien réalisé. Si ce film reprend les codes classiques qui font le succès du genre horreur/teen, il parvient à porter un propos pertinent en restant accessible au-delà d’une « minorité éclairée ». Porté par une bande son, une réalisation et une identité visuelle parfaitement choisies, ce thriller/film d’horreur pose une question: à quoi aurions-nous le droit si American Nightmare avait su porter son concept jusqu’au bout, tout en étant fun et en portant son propos avec plus de justesse ?
Pour commencer, il convient de souligner une qualité majeure de ce film. Assassination Nation, n’en déplaise aux critiques traditionnels, se permet d’utiliser toute la palette d’outil du réalisateur tout en nous livrant un film accessible au plus grand public.
Jouant entre bande sonore vivante, usage créatif de la caméra, photographie expressionniste et effets spéciaux mécaniques , Sam Levinson donne vie à un film extrêmement divertissant qui, loin de certains productions Netflix ou des grandes franchises, sait conserver une identité forte. A cet égard, la scène d’invasion de la maison d’Em offre un parfait exemple, en se permettant un plan séquence qui met en exergue l’étau se refermant sur les protagonistes et annonce une scène brutale, sans échappatoire. En parallèle, et anticipant les critiques qui souhaiteraient prendre un peu trop au sérieux leur propre regard sur ce film, le réalisateur leur adresse un clin d’œil appuyé en dernière réplique, rappelant que ce cinéma est avant tout, « for the LOLs ».
La bande originale d’Assassination Nation mérite également d’être mise en avant, tant elle sait porter les propos du film, magnifier sa narration et sublimer ses personnages. Elaborée en majeur partie par Ian Hultquist, qui a récemment travaillé sur la BO de Night Teeth. Ce dernier film, s’il ne partage pas nécessairement les qualités de Assassination Nation, parvient à créer une ambiance particulière, ce qui est également le cas pour l’œuvre de Sam Levinson. La musique « Slay’em High Kill » est à ce titre un parfait exemple, tant l’usage des basses apporte une parfaite transition vers les éléments qui sous-tendront le dénouement du film. Par son ton à la fois sobre, inquiétant et lancinant, il vient rappeler que la succession d’actions qui sont à l’œuvre à l’écran ne sont que le prélude d’événements bien plus graves. Il convient également de souligner le travail d’Isabella Summers, dont le travail sur la musique « Rage », à la fois brutale et minimaliste, vient parfaitement accompagner une scène qui parle de conflits intérieurs forts.
Il convient de s’attarder sur une scène en particulier, celle de la fête. Cette dernière est fascinante en ce qu’elle montre ce à quoi peuvent servir les outils qu’offre le cinéma moderne pour exprimer l’état des personnages ou l’ambiance d’une scène. Dans cette séquence, c’est bien l’ébriété, les mauvaises décisions, la dimension éclatée de notre esprit dans certains fêtes (trop ?) arrosées qui sont soulignées par la réalisation. La représentation de l’état d’ébriété et de ce qui l’entoure à été mise en scène à de nombreuses reprises au cinéma, et Sam Levinson n’a pas à rougir de l’usage qu’il fait du split screen, qui porte parfaitement son propos tout en préfigurant les nombreux facteurs qui seront potentiellement à l’origine du dramatique dénouement de l’histoire. Lumière, bande originale, caméra, photographie sont parfaitement maitrisés pour porter le propos du film.
Globalement, ce film est plutôt réussi, en ce qu’il vient proposer quelque chose de frais, de parfaitement réalisé et d’engagé. C’est une critique qui est plutôt partagée de l’autre côté de l’Atlantique, mais absolument pas en France. Cela pose la question du regard que porte le milieu du cinéma français sur ces œuvres plus accessibles aux différents publics, ainsi que sur la représentation de la sexualité au cinéma.
Revenons donc sur la question de la sexualité à l’écran, et plus particulièrement dans le film de Sam Levinson. La critique la plus récurrente est celle de l’utilisation de la sexualité comment un argument commercial. Cependant, cette représentation vient également porter un autre propos. Les protagonistes sont vêtues de façon sexy, comme des femmes qui assument leur corps et portent un point de vue critique sur un quelconque droit de regard de la société quant à leur apparence. Finalement, ce film porte un propos : « si cela te dérange, ne regardes pas », quelque peu évident. Cependant, et c’est bien là tout son intérêt, en sexualisant ces personnages principaux, qui seront ensuite la proie de plusieurs hommes du fait notamment de l’interprétation que ceux-ci font de leurs tenues, ce film vient rappeler une leçon importante : les protagonistes (et les femmes de manière plus générale) ont un droit absolu à disposer de leur corps, à gérer leur sexualité, qui ne donne en retour aucun droit aux personnes qui les entourent, et ne justifie donc aucune agression. Il est parfois important de le rappeler.
Si cet angle sur les agressions sexuelles est relativement classique, Assassination Nation parvient cependant à se démarquer par la façon dont il porte sa critique. Dans ce film, la violence sexuelle n’est pas cachée. AN vient rappeler que, dans ce type de situation, c’est bien à l’agresseur d’avoir honte et non à l’agressée. Il se démarque ainsi du cinéma mainstream qui, en suggérant généralement l’agression (si ce n’est en la cachant), vient supposer que celle-ci mènerait à une désacralisation de la protagoniste en la mettant dans cette position de personne violée. Être une personne violée n’est pourtant absolument pas un problème. C’est le viol et le fait d’être un violeur qui pose un problème. Ensuite, ce film parvient à montrer l’agression sans tomber dans le travers de certaines œuvres du même genre, gratuitement violentes. Au contraire, et plus justement, Sam Levinson choisit de dépeindre plus spécifiquement la situation qui précède l’agression sexuelle, sa dégradation, le moment de ces choix souvent contraints où la peur monte et la fatalité s’approche. Cette dimension de l’agression sexuelle est presque toujours oubliée au cinéma, alors qu’elle représente une part importante du vécu des survivantes.
Enfin, le début du film vient presque nous prévenir des critiques que certains pourraient en faire. A travers un message sur le ton du « trigger warning », Assassination Nation vient prévenir, sur le ton de l’humour, les commentateurs qui portent un regard trop élitiste ou universaliste sur le sujet. Si cette approche est plutôt destinée à une audience nord-américaine, elle a cependant une pertinence très importante dans le contexte français. Face à des médias mainstream et une classe politique qui tend à s’insurger face à la moindre remise en cause des modèles dominants (esthétiques, littéraires, idéologiques, etc.), Sam Levinson prévient son audience française que le contenu de son œuvre pourrait heurter leur sensibilité et leurs égos.