Terre de la désolation et des vices, l’Amérique constitue le support idéal afin de tacler son aspect oisif et choquant, au sein d’une société qui se perd dans des idéaux sans fondements ou influencée par le premier venu. Ce manipulateur n’est pourtant pas l’œuvre d’une seule entité, car le retour de Sam Levinson confronte le regard féminin au regard masculin. Six ans après « Another Happy Day », on diminue le ton vers un drame de société et d’actualité, qui touche tous les utilisateurs d’un support numérique. Nous vivons dans un monde où le partage d’information est rapide, mais où la circulation est perturbée par la densité. Les émotions sont exclues de cette démarche dématérialisant un discours ou un souvenir. L’outil technologique qui est censé faire progresser l’humanité vers sa prospérité le rend encore plus discutable, jusqu’à ce que l’humiliation vienne frapper à sa porte, armée jusqu’à os.
De nombreuses œuvres ont déjà essayé d’anticiper les dangers des médias, comme la liberté dans l’usage des réseaux sociaux. Le mal se heurte ainsi à chaque porte, mais on préfère se concentrer sur la fameuse ville du Massachusetts, où le procès des sorcières de Salem a bouleversé l’histoire coloniale des États-Unis. Si ce tragique épisode est repris dans cette intrigue qui cherche avant tout à sensibiliser, c’est pour que la population prenne enfin conscience de leur état d’âme, ce fond, cette part d’eux-mêmes qu’ils refoulent en eux. La haine possède peu d’antidotes, mais possède un panel de catalyseur et l’émotion entre en première ligne, là où les contradictions qui construisent une nation viennent s’écrouler sur des mares de sang et de peur. La prise de vue prend alors l’option du voyeurisme dans un cadre filtré aux couleurs de l’atteinte morale. L’alerte est alors déclenchée, les femmes n’auront plus qu’à se soulever.
Lily, Sarah, Bex et Em sont ces quatre lycéennes qui nous sont présentées par une notoriété, née d’un profil virtuel. Nous avons un modèle d’elles qui les entravent dans leur épanouissement, à la fois individuel et collectif, par des hommes qui revendiquent leurs droits, par la loi de la virilité et autres concepts machos. Eux, on nous les présente dans le cadre de la violence gratuite et du contrôle de cette dernière, sans qu’ils soient pénalisés pour leurs intentions ou méfaits. La culture du sexe, de la drogue, du hacking, du harcèlement, tout ceci est lié dans l’engagement dématérialisé, où la surveillance est accrue. Si l’affaire Snowden, entre autres, devait nous rendre plus hésitants dans l’échange de données, cela n’était pas suffisant pour arrêter la tendance des innovations en tout genre qui pousse l’homme occidental à utiliser de plus en plus le numérique, quitte à y perdre sa personnalité et y perdre sa crédibilité. Mais attention, le film ne nous invite pas à prendre position derrière l’un des deux camps qui se dessinent lors d’un affrontement indiscutable et parfois amené avec une facilité scénaristique déconcertante. Le spectacle préfère toutefois valoriser la forme, afin que le maigre fond puisse être discuté à posteriori.
Loin des caricatures de la houle féministe qui s’abat sur Hollywood et ses horizons, « Assassination Nation » sacrifie ainsi ces victimes dans leur propre jeu, bien qu’on puisse parfois être invité par erreur ou par défaut, d’où la relecture d’une chasse aux sorcières moderne. Les rôles s’inversent alors et la souffrance prend une nouvelle saveur, bien qu’elle ne soit pas inconnue des écrans. Les nuances ne sont pourtant pas très subtiles, car l’on se détache peu de cette image de la femme sexualisée ou de l’homme autoritaire. Ici, le contre-pied permet d’éviter quelques écueils, à défaut de laisser passer quelques clichés qui s’avèrent toutefois nécessaires, afin de justifier tout ce chaos, dont on ne trouve rien d’autre qu’à vulgariser, à chanter et à danser par-dessus. La société se meurt d’une maladie allégorique et hystérique. Si l’hypocrisie d’une nation passe par son chef ou son gouvernement, l’œuvre insiste tout de même sur la responsabilité de chacun envers les préjugés et les influences sociales.