On ne finit plus d’explorer les troubles de l’adolescence. Et cette fois-ci, c’est dans le lyrisme que la narration prend son envol. Alejandro Landes opte pour de la contemplation afin d’orienter au mieux les émotions qui s’offrent à nous. Les niveaux de lecture se multiplient rapidement afin que l’on s’abandonne à l’ambiance proposée plutôt que de nous immerger dans un récit peu bavard. Pourtant, la richesse vient de là, du fait de ne pas choisir. La caractérisation des personnages parle d’elle-même, malgré quelques insuffisances notables ou encore des transitions trop brusques pour maintenir la tension au frais. Mais ce qu’il faut identifier avant tout, c’est cette question d’unité, de cohésion et de cohabitation, qui seront soudainement brisées via l’individualisme qui émerge au sein d’un groupe que l’on vante complémentaire.
Malheureusement, tout le monde ne regarde pas dans la même direction. Et si l’intrigue n’évite pas quelques clichés liés aux passions, c’est le contexte de l’enfant-soldat qui nous ramène à cette réalité, celle d’une fable contemporaine et violente. Ce discours séduit par une mise en scène ambiguë et surtout envoutante, dans le sens où elle permet de mieux capter l’hésitation que l’on distingue dans chaque personnalité. On nous dévoile ainsi des adolescents conditionnés à la rêverie et à un jeu d’adulte, celui d’une guerre qui les dépasse. Et entre l’aventure solennelle et hallucinatoire, le film ne cache pas ses nombreuses références, notamment à « Apocalypse Now ». De cette façon, on brouille les pistes, sans intention de manipulation. La substance prendra juste la forme du récipient qu’est notre subconscient. Et au croisement de ce dernier avec notre sensibilité, se cache une intime curiosité qui mènera le spectateur à l’expérience souhaitée.
Ainsi, au sommet du monde mais isolée de toute influence sociétale, la communauté ne baigne pas non plus dans l’innocence totale. Chacun vit dans un état transitoire, découvrant l’humanité dernière la discipline et vice-versa. Rien n’est tranché, tout est à construire dans l’esprit de jeunes âmes égarées dans les ténèbres des responsabilités. La quête parait pourtant simple, une unique mission pour les souder et un unique argument pour les séparer. Tout le monde souffre de leur condition, de leur sexualité, de leur genre, de leur existence. Dans leur tentative de ne faire qu’une avec la Nature, cette dernière finit par les rejeter, car ils se révèlent indignes et trop suffisants une fois à la frontière de leur désir et de leur devoir. Il existe cependant une réserve concernant l’otage, interprétée par Julianne Nicholson, que l’on découvre plus convaincante que jamais, mais qui manque d’interaction avec les adolescents troublés. Elle ne s’insère essentiellement dans le récit que pour lui offrir des tremplins scénaristiques nécessaires pour le contexte, intentionnellement laissé en arrière-plan.
Si « Monos » tient de la valeur individualiste grecque, il ne faut pas négliger sa symbolique primitive, car les singeries ne sont jamais loin afin de justifier des conflits primordiaux. Le rapport de dominance règne et souligne ainsi l’abandon d’un encadrement moral. La jeunesse faiblit alors et n’a plus d’autre choix que de se reposer sur l’unique consigne qu’on lui donne, à savoir survivre. De ce combat, naît alors un fardeau qui les rassemble dans un premier temps, puis que l’on démantèle à coup de machette, rien de précis mais le résultat est percutant. L’épopée manœuvre ainsi dans l’expérience sensorielle, à la fois hostile et accueillante, il suffira simplement d’en déterminer les limites pour percevoir ce qu’il y a de magnifique et singulier dans ce chaos.