Admirateur du cinéma d’animation japonais, j’étais hésitant à l’idée d’aller voir ce film, en raison de la bande-annonce et des critiques moyennes. Grand bien m’a pris d’avoir suivi mon intuition et de m’être finalement décidé à le voir : c’est un film très réussi, original, au rythme enlevé et au scénario riche et bien écrit.
Le film montre la vie de Morikawa, lycéenne d’une petite ville du Japon et de classe populaire qui, depuis la disparition de sa mère dans un accident quand elle était très petite, vit seule avec un père mutique qui ne communique pas avec elle.
Ingénue et pleine de vie, l’héroïne est très rêveuse. Dans ses rêves elle vit une vie plus grande que la sienne, où elle se voit encore comme une enfant, une petite princesse nommée Ancien possédant une tablette tactile fantastique au pouvoir magique de donner vie aux objets, et qui est la fille d’un roi tout-puissant régnant sur Heartland, un royaume d’inspiration steampunk fondé sur l’industrie automobile.
Son père est soudainement et mystérieusement arrêté par la police, le rêve rejoint la réalité et en quelques heures toute la vie de l’héroïne va être chamboulée. De mystérieux inconnus sont à la recherche de la vraie tablette tactile de la jeune fille, héritée de sa mère. Celle qui ne connaissait rien de sa mère et croyait n’être que la fille d’un mécanicien automobile talentueux mais pauvre et mauvais en affaires, se retrouve embarquée dans une grande aventure, celle d’un complot interne contre le PDG d’un très grand groupe automobile, sur fond de nouvelle technologie de conduite automobile autonome...
Au fil de son aventure pour aider son père, on comprend que les rêves de Morikawa sont en fait la représentation d’objets et de personnages du réel qui vont peu à peu faire sens et nous expliquer le mystère de l’intrigue. Ses rêves récurrents sont en effet des réminiscences d’une histoire que lui racontait son père dans sa petite enfance en la bordant, histoire inventée dans laquelle son père avait caché par pudeur le vrai récit de la vie personnelle de la mère disparue de Morikawa, ne sachant sans doute exprimer directement à sa fille le souvenir de sa femme après l’événement traumatique de sa disparition, qui l’a probablement enfermé dans son mutisme.
Morikawa apprend donc que l’histoire que lui racontait son père dont découlent ses rêves ne la figuraient donc pas elle mais sa mère : le roi de ses rêves n’est donc pas son père mais son grand-père, PDG de la plus grande firme automobile du Japon, et la princesse est en réalité sa mère, fille du PDG et informaticienne de génie qui avait développé avec le père de l’héroïne, employé de la firme, un programme révolutionnaire pour la conduite autonome et intelligente des voitures. Alors trop précurseurs, le grand-père père s’était fâché avec les deux parents, ne croyant pas en la vision de l’automobile autonome, et les avaient renvoyés de l’entreprise.
Des années plus tard, l’entreprise se résout finalement à développer des voitures autonomes mais ne parvient pas à finaliser le programme informatique embarqué. Des cadres comploteurs vont alors se mettre en recherche du code informatique de génie de la mère de Morikawa, caché à l’intérieur de la tablette tactile, qu’ils vont chercher à voler pour s’accaparer la gloire de son travail.
Dans le monde du rêve, la tablette est magique, c’est la révolution numérique et l’informatique qui sont magie, symbole du progrès et de futur que représente la mère en opposition au monde ancien entièrement mécanisé et piloté manuellement que représente le personnage du grand-père.
A partir de la révélation des éléments de la vie de ses parents, Morikawa ne se rêve alors plus sous sa forme d’enfant, la petite princesse Ancien, mais à son âge actuel et sous son nom « coeur et ailes » qui prend son sens, comme s’il lui lui avait fallu résoudre l’énigme de son histoire familiale pour grandir et commencer à exister, trouver sa place. L’imbrication du rêve avec la réalité, comme deux mondes parallèles, est assez réussie : le démon de Heartland est une personnification des comploteurs, comme un tumeur maligne rendue possible à cause du conflit du grand-père avec sa fille et son beau-fils. Morikawa joue le rôle de réparatrice, elle devait comprendre son passé pour sauver la mémoire et l’honneur de sa mère et s’inscrire dans la continuité de son histoire, c’est-à-dire aider son père à vaincre le démon grâce à la magie de sa mère - son œuvre informatique - dont elle est quelque part devenue l’héritière et la dépositaire. A la fin l’héroïne tient le rôle de réconciliatrice entre son grand-père et son père et sa mère disparue, prouvant que sa mère avait raison, rattrapant ainsi une histoire familiale manquée et réparant un traumatisme.
Si la mère était trop en avance sur son temps et que le monde n’était pas encore prêt pour son invention, la tablette est un objet témoin qui symbolise la génération numérique enfantée symboliquement par la mère, la génération de Morikawa, qui elle est pleinement prête pour cette invention et qui prend pleinement sa place dans le monde et dans la suite du récit familial.
Dans la grande tradition du conte et du récit initiatique du cinéma d’animation japonais, où un jeune personnage de petite condition se révèle avoir une grande destinée, ce film choisit une forme originale pour raconter les obstacles et les épreuves que doit affronter l’héroïne pour mûrir et comprendre son identité. Si la structure du film n’est pas sans rappeler Souvenir de Marnie, où le rêve éclairait également peu à peu l’histoire familiale cachée de la protagoniste, ici le fantastique et la magie du monde du rêve symbolisant le numérique, et le choix de l’industrie automobile pour figurer le monde, sont très inattendus et beaucoup moins traditionnels. En choisissant ces thèmes, ce film s’inscrit dans notre temps et parle de notre époque, et incite ainsi le jeune spectateur à l’identification et au courage et à prendre sa place dans un monde nouveau et numérisé.