Malgré de vraies réserves (notamment concernant la dernière partie), le roman possédait des qualités psychologiques et de description des relations entre les différents personnages souvent saisissants, provoquant un malaise, une tension construits avec beaucoup de talent. Il est peu dire que le ressenti n'est pas le même concernant son adaptation cinématographique, se loupant à peu près dans tous les domaines possibles. Question fidélité, rien à dire : à deux scènes rajoutées près (plutôt correctes, d'ailleurs), on retrouve totalement le récit imaginé par Leïla Slimani : cadre, personnages, situations... Lucie Borleteau fait preuve d'une réelle rigueur pour retranscrire sur écran cet univers singulier, aidée au passage par Jérémie Elkaïm et Maïwenn (le premier s'offrant, d'ailleurs, une courte apparition). Mais j'ai envie d'écrire que c'est à peu près tout. Par définition, autant un livre peut vous permettre de décrire avec beaucoup de précision les troubles intérieurs de ses protagonistes, autant cela est évidemment nettement plus compliqué dans un film, surtout lorsque l'on voit la manière dont la réalisatrice s'y est prise. Celle-ci semble persuadée que simplement raconter les événements suffira pour donner de la force à l'œuvre, comme si l'histoire se suffisait à elle-même. Ce n'est manifestement pas le cas, les différents choix (ne pas révéler le dénouement dès le départ, contrairement au roman, offrir un récit totalement linéaire, ne s'offrir aucun écart vis-à -vis de son modèle), s'avérant tous perdants. On tombe même assez vite dans une forme (assez incompréhensible) de platitude, et alors que ce que nous voyons devrait être dérangeant au possible, nous sommes à deux doigts de nous en foutre... Il faut dire que ce n'est pas l'interprétation étrangement atone de Leïla Bekhti et d'Antoine Reinartz qui risque de changer la donne, seule Karin Viard, parvenant à provoquer une étrangeté, un malaise : bref, tout ce qu'aurait dû être « Chanson douce » et ne l'est jamais. Quant au dénouement, pourtant traumatisant au possible, même lui parvient à se terminer en queue de poisson tant l'absence de toute explication antérieure à ce « geste » lui enlève presque tout sens. Bref, alors que les voyants semblaient au vert pour offrir ne serait-ce qu'un bon film, on peut voir à quel point une adaptation mal pensée peut précipiter sa chute... Mieux vaut en rester à la prose de Slimani : tout le monde s'en portera mieux.