Dans l’immensité de Chongqing en Chine (dont la superficie est égale à l’Autriche), la ville doit répondre à une forte croissance et bâtir des buildings sur des emplacements déjà occupés. Pour faire place nette, la municipalité n’a d’autre choix que d’expulser et raser des quartiers entiers. Shibati était l’un des derniers vieux quartiers de la ville et le réalisateur français Hendrick Dusollier a voulu, tel un devoir de mémoire, conserver l’âme du quartier (du moins, ce qu’il en restait), en capturant au grès de ses passages, des images, des rencontres, des visages, des anecdotes, bref tout ce qui constituait ce quartier et qui était en train de disparaître pour laisser place à un nouvel arrondissement. Les rencontres se suivent mais ne se ressemblent pas, jusqu’au jour fatidique où ils doivent définitivement quitter leur maison pour laisser place aux bulldozers et où au même moment, ils sont convoqués au « bureau des logements » pour être relogés dans un tout nouveau quartier.
Les transformations urbaines sont le lot quotidien de la Chine, on ne compte plus les documentaires où il est question d’expulsion (parfois par la force), on pensera notamment à I Wish I Knew (2010) de Jia Zhangke ou encore à Une nouvelle ère (2019) de Boris Svartzman. Avec Derniers jours à Shibati (2018), le réalisateur aura filmé pendant un an et demi au cœur du quartier et ce, jusqu’à sa démolition en 2015. Les rencontres sont fortuites mais au fil des passages, 6 mois ou un an plus tard, le réalisateur retrouve des protagonistes qu’il avait croisé les fois précédentes. Les échanges sont courtois et parfois interloqués (que vient faire ce français dans ce quartier ? N’a-t-il rien d’autre de mieux à faire ?). Les échanges sont de courtes durées mais permettent de créer des liens et Hendrick Dusollier nous permet de voir à quel point les résidents ou commerçants de ce quartier appréciaient ce lieu et aimaient vivre dans leur bulle, loin du tumulte des grandes villes (Shibati détonne complètement, le quartier se retrouve enclavé au cœur de cette mégalopole noyée sous les buildings).
Le film nous offre l’occasion de faire de belles rencontres, dont la plus réjouissante est Madame Xue Lian, une adorable vieille femme qui s’adonne au tri sélectif pour (tenter de) gagner sa vie. Pour cela, elle parcourt les rues de Chongqing, fait les poubelles pour y récupérer tout ce qui peut être recyclé. Elle s’est même confectionnée ce qu’elle appelle « la maison des rêves », fabriquée de bric et de broc, des ordures trouvées ici et là, à qui elle redonne une seconde vie, comme une sorte de mausolée. On y fait aussi la connaissance du petit Zhou Hong, ce jeune garçon émerveillé par ce qu’il appelle « La Cité de la lumière de la Lune », un centre commercial qui illumine tout le quartier avec son gigantesque écran à led (le temple du consumérisme détonne totalement avec le bidonville situé juste en face, plongé dans le noir total et où rares sont les bicoques à avoir de l’électricité). On y croise aussi Monsieur Li, le coiffeur / barbier du quartier avec lequel le réalisateur échange sur divers sujets (les conversations s’avèrent plus compliquées qu’elles n’y paraissent, ne parlant pas le chinois, c’est souvent le langage des signes qui prédominent).
La plus grande agglomération au monde rase tout sur son passage, fait table rase du passé, quitte à effacer tout un pan de son Histoire, la Chine ancestrale cédant sa place à la Chine contemporaine. Il en résulte un magnifique documentaire, poignant et profondément humain.
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