Quand on y regarde de plus près, sur le papier, le cinéma de Frank Capra a vraiment tout ce qu'il faut pour irriter les cinéphiles d'aujourd'hui. Après tout, nous parlons d'un cinéma naïf, idéaliste et bisounours. Plus d'une fois, j'ai taillé en pièces des films de ce genre. Mais, avec Cara, c'est complètement différent, car les films dégagent quelque chose qui est ce qui peut se trouver de plus beau sur Terre : l'humanité et la sincérité. Et, plus important que ça, ces sentiments sont distillés de manière naturelle, ça n'est jamais forcé. Avec "L'extravagant Mr. Deeds" on est en plein dans le schéma du gentil très gentil qui affronte seul une horde de méchants très méchants. Et ça marche à fond, ça va droit au coeur. Tout simplement parce que Capra croit en ce qu'il fait tout en ayant la lucidité nécessaire pour savoir et admettre que les histoires qu'il raconte sont idéalistes. Tiens, maintenant que j'en suis là, j'ai envie de parler du moment qui, à mes yeux, est purement représentatif du style du cinéaste : quand Babe lit à haute voix le poème que Deeds a écrit pour elle. Dans n'importe quel autre film, ce serait insupportable de niaiserie, mais là, ça vous prend le coeur d'emblée et vous le retourne comme une crêpe. Pourquoi ? Déjà parce que comme dit précédemment, il y a cette sincérité qui vous saute à la figure, il y a le talent d'interprétation évidemment, mais il y a surtout la caméra de Capra qui scrute le visage de Jean Arthur afin de capter tout ce qu'elle ressent intérieurement, mais qu'elle n'ose exprimer ostensiblement. Faire d'une scène ordinaire un tel monument d'émotion, c'est un luxe que seuls les grands cinéastes peuvent se payer. Cette scène, c'est aussi à mes yeux celle qui cristallise tout le cynisme auquel Deeds doit faire face. Je parlais d'interprétation un peu plus haut car oui, il faut en parler. Ils sont nombreux, et j'en ai fait longtemps partie, à garder de Gary Cooper l'image d'un acteur aussi charismatique que monolithique. Ici, il ne perd rien de son charisme, mais il offre une performance majuscule, jamais surjouée, toujours dans le ton juste. Son personnage naïf et enfantin, mais pas bête pour un sou, contrairement à ceux qui lui veulent du mal se plaisent à le dire, suscite immédiatement la sympathie la plus profonde. Face à lui, Jean Arthur est une partenaire remarquable. Comme tous les autres acteurs. Dans tout ce beau tableau, on regrettera seulement deux ou trois lourdeurs dans la première heure de film, mais rien de méchant. Le cinéma, quand c'est exercé de la sorte, c'est vraiment magnifique.