Vous connaissez la citation de Jean-Paul Sartre « L'Enfer, c'est les autres » ? Et bien c’est le titre que Roman Polanski aurait dû donner à sa trilogie des appartements, car après "Répulsion" et "Rosemary’s Baby", notre ami polonais rempile avec un film bien space : "Le Locataire". Le film débute simplement lorsque le héros, Trelkovsky, est à la recherche d’un appartement dans Paris. Il arrive à en trouver un suite à la mésaventure de l’ancienne locatrice : la pauvre demoiselle s’est défenestrée et est désormais à l’hôpital dans un sale état. Trelkovsky s’y installe et, au fur et à mesure qu’il y habite, semble être comme « attiré » par cette femme et sa vie...Mais, pour rajouter une couche d’étrangeté, Polanski s’amuse petit à petit à nous présenter les divers habitants de l’immeuble et ce de façon assez dubitative : véritable festival d’handicapés sociaux, on a des doutes sur leurs intentions voire sur leur santé mentale (et oui : des fous et des emmerdeurs comme voisins, on en a tous connu !!)…tout comme sur celle de Trelkovsky : ses voisins lui semblant odieux et bourrés de vices, il ne saurait leur faire confiance, et finira par se méfier de tous avec une certaine paranoïa.Et c’est là que réside tout l’intérêt du film : Trelkovsky est-il victime d’un complot ou bien est-il tout simplement en train de péter les plombs ? Plus le film va avancer, plus Polanski va s’amuser à développer une ambiance malsaine qui va crescendo à l’aide d’éléments paraissant anodins mais qui augmentent l’étrangeté de l’ensemble :
les voisins qui débarquent toujours de façon inattendue (ça ressemble presque à du jump scare sans être autant outrancier qu’un vrai jump scare), la dent dans le mur, le livre intriguant Trelkovsky qui a pour titre « La Vie de la Momie », la fillette handicapée qui fait claquer sa jambe artificielle, le fait-divers d'un homme ayant été tué pour tapage nocturne, le « poste d’observation des toilettes », le goutte-à-goutte incessant de l'appartement, et surtout, le fait que le héros commence à se confondre avec la précédente locataire (le tenancier du bar lui sert le même petit déj’ que Mlle Choule, il commence à fréquenter l’une de ses amies, il se met à fumer la même marque de cigarette qu’elle, la concierge lui donne le courrier de la demoiselle, il se met à porter ses robes…). Et cela marche terriblement bien (le rythme lent du film contribue aussi à cette mise en abyme)
, à un tel point qu’on a plus aucun doute sur ce qui se passe réellement : tout à l’air bien clair pour nous...et bam, le dernier plan, incroyable twist final, nous envoie dans la tronche une de ses droites qui nous laisse KO et fout en l’air toutes nos certitudes !! On nage en plein cauchemar nous aussi : Polanski nous a envoyé dans le même enfer que son personnage...j’ai réellement eu l’impression de voir un long épisode de « La Quatrième Dimension » : après visionnage on est sur le cul, puis on est perdu, et enfin on pige le truc et on trouve ça sensass d’avoir été manipulé si intelligemment ! Vraiment du très bon boulot. Si le film tourne aussi bien, c’est aussi grâce à la prestation des acteurs : Polanski s’est attribué le premier rôle de son film mais c’est une idée plus que justifiée tant il incarne parfaitement cet homme simple et réservé qui va finir hyper parano comme vivant un cauchemar éveillé. Tous les acteurs secondaires sont assez bons puisqu’ils jouent très bien ces personnages plus qu’étranges qui parviennent au final à être tout aussi intrusifs que effrayants (en fait, c’est à cause de leur côté intrusif qu’ils sont effrayants !). J’ai tout de même une préférence pour le propriétaire Monsieur Zy et la concierge (les regrettés Melvin Douglas et Shelley Winters). Avec "Le Locataire", Roman Polanski nous propose un impressionnant cauchemar éveillé, et ce bien avant David Lynch, bouleversant les habitudes du cinéma en livrant une matérialisation brute de toutes les névroses paranoïaques avec lesquelles l’être humain se voit souvent contrait de cohabiter. Un film effrayant viscéralement parlant, qui a la très bonne particularité de ne pas être pollué d’effets spectaculaires grandiloquents : très, très impressionnant…surtout pour une péloche sortie en 1976 !!