Depuis près d'un siècle, les contes fantaisistes de "L'extravagant Docteur Dolittle" de Hugh Lofting enchantent les lecteurs, de toutes générations. La capacité extraordinaire du héros à parler les langues complexes des animaux, petits et grands, a nourri l'imaginaire du public qui découvrait ses aventures dans les livres, à la radio, au théâtre, à la télévision ou au cinéma. Popularisé par Eddie Murphy à la fin des années 90, le Dr Dolittle se voit désormais incarné par Robert Downey Jr.
Joe Roth et Jeffrey Kirschenbaum, qui ont tout récemment produit Maléfique : Le pouvoir du Mal, développaient un projet d'adaptation depuis longtemps. Une fois que Thomas Sheppard, auteur de l'adaptation, s'est engagé dans l'aventure, le projet a commencé à prendre forme. Mais il a fallu que Stephen Gaghan, réalisateur oscarisé, accepte de signer la mise en scène pour que Le voyage du Dr Dolittle se concrétise vraiment. Pour le cinéaste, L'Extravagant Dr Dolittle (1967) avait été marquant. "J'ai découvert cette version avec Rex Harrison à un âge charnière", se souvient-il. "Je devais avoir 3 ou 4 ans à l'époque et j'ai été captivé. Je crois que le film s'est niché dans un coin de ma tête et s'y est épanoui pour en ressortir cinquante ans plus tard."
Quand Robert Downey Jr. a choisi, après avoir quitté l'univers Marvel, de s'attaquer au périple du célèbre vétérinaire – et de revenir à l'Angleterre victorienne où se déroule l'histoire de Dolittle –, un nouvel héros était né. Les producteurs Joe Roth et Jeffrey Kirschenbaum ont contacté Team Downey, société de production de Robert et Susan Downey, son épouse et fidèle collaboratrice, sensibles à la faculté de Roth à réinterpréter les grands classiques de la littérature. d’Alice au pays des merveilles à Blanche Neige et le Chasseur, le producteur prolifi que a transposé de nombreux contes célèbres en blockbusters. Roth et Kirschebaum étaient certains qu'avec Robert Downey, l'interprétation du brillant et complexe Dolittle serait des plus marquantes.
Le premier rendez-vous entre le réalisateur Stephen Gaghan et Robert Downey Jr. a été déterminant. "Robert m'a demandé quelles décisions avaient déjà été prises concernant le film", se remémore Gaghan. "Je lui ai répondu qu'on n'en avait pris qu'une seule et qu'elle expliquait notre rendez-vous. 'On voudrait te confier le rôle principal et tout le reste est totalement ouvert'. C'est un vrai collaborateur de création et il est totalement partie prenante dans la fabrication du film. C'était une décision fondamentale mais c'était la bonne."
Génie d'un genre très particulier que la plupart des gens tiennent pour fou, le docteur Dolittle est un ours mal léché – mais brillant – qui comprend la plupart des langues animales. Médecin autrefois très compétent, il est dévasté par la mort de sa femme, Lily. Robert Downey Jr. a décidé de faire de Dolittle un Gallois. "Pour moi, ce personnage vit en ermite et s'est retranché du monde en raison d'un traumatisme, d'un choc émotionnel", signale-t-il. "Il a choisi de ne soigner que les animaux parce qu'il a renoncé à venir en aide à ses congénères. Il vit reclus dans ce domaine que lui a offert la reine. Je me suis dit que ce serait encore mieux s'il était gallois parce que, même si le Pays de Galles fait partie de l'Angleterre, les Gallois donnent pas mal de fil à retordre aux Anglais !"
Le choix de faire de Dolittle un gallois présentait certains défis que Robert Downey Jr. n'avait pas anticipés. "Il se trouve que c'est l'accent le plus difficile du monde et ça m'a rendu fou !", confie Downey. "Ça devrait au moins faire l'affaire pour le film. Le gallois est proche d'une langue d'origine gaélique et j'y ai pris beaucoup de plaisir. Michael Sheen m'a beaucoup soutenu et donné quelques conseils. Il m'a parlé de discussions qu'il avait avec son père si bien que je l'ai enregistré et j'ai aussi fait appel à un coach gallois". Downey a en effet travaillé avec le répétiteur Andrew Jack et le consultant gallois Tim Treloar qui étaient tous les deux présents sur le plateau pendant le tournage.
Bien avant le début du casting, Stephen Gaghan a passé des mois à réfléchir à l'allure de chaque animal de la ménagerie de Dolittle. Une démarche qui lui a permis de choisir les acteurs qui allaient les doubler. "J’ai pris des images d’animaux et c’est pour eux que j’ai fait le casting", explique-t-il. "Je me disais : ‘Cette actrice fera un très bon gorille des montagnes !’ Ensuite il fallait que j’explique aux animateurs ce qui collait particulièrement bien chez cet animal. C’était parfois un mouvement d’épaule, une lueur dans le regard ou sa timidité… Il fallait identifier les caractéristiques humaines qui sous-tendent le langage visuel de l’animal."
Dr Dolittle a été tourné aux studios de Shepperton et dans leurs environs, dans le Surrey en Angleterre.
Les superviseurs des effets visuels Nicolas Aithadi et John Dykstra ont eu la tâche gargantuesque de créer à l'écran les animaux du film. Il était important pour Stephen Gaghan d'accentuer les thèmes de l'époque victorienne tout en rendant Le Voyage du Dr Dolittle accessible aux spectateurs contemporains. Pour Gaghan, il était crucial que les créatures infographiques aient l'air parfaitement réaliste. "On prend un endroit banal, comme une maison avec un jardin, puis on y met un ours polaire. On ne peut pas s'attendre à ce qu'il se comporte comme dans un dessin animé : ce n'est pas intéressant. Ce qui est passionnant, c'est de restituer la vérité et la dignité de ces animaux lorsqu'ils sont en contact avec Dolittle et les uns avec les autres. Je voulais que chacun ait un problème, une blessure ou un trouble et que ce soit ça au départ qui les ait menés jusqu'à Dolittle. C’est après tout un vétérinaire célèbre et le monde animal sait que quand on a un vrai souci, il n'y a qu'une seule personne à qui s’adresser. Je tenais également vraiment à voir Yoshi avec son petit bonnet en alpaga : je devais juste trouver une raison pour qu'il le porte… et voilà, on a eu l'idée d'un ours polaire qui a tout le temps froid" !
Les équipes des chefs-cascadeurs ont travaillé en étroite collaboration pour réaliser les scènes exigeant le plus d'efforts physiques de la part des acteurs et des cascadeurs. Pour la scène de combat dans le donjon où l'on voit Barry le tigre prêt à hacher menu Dolittle, le fauve a été incarné par un chorégraphe de combat en combinaison verte. Robert Downey Jr. et lui ont mis au point un enchaînement très précis, comprenant de la lutte et des techniques de combat rapproché. Les mains et le costume du cascadeur étaient en contact avec le corps et le costume de Downey. "Une fois la séquence montée, le cascadeur en tenue verte a été remplacé par notre tigre numérique", confie John Dykstra. "Le corps et les mains du cascadeur ont été remplacés par les griffes du tigre et on a l'impression que ce fauve numérique est en train de saisir Robert et qu'on voit ses vêtements bouger".
John Dykstra, qui a essentiellement travaillé en post-production, revient sur les étapes clés de ce processus : "J'ai d'abord supervisé le tournage et j'ai ensuite rejoint la post-production en collaborant avec le producteur exécutif Jonathan Liebesman et l'équipe des effets spéciaux pour intégrer ces magnifiques animaux, dont la conception a été réalisée par le superviseur animation oscarisé David Shirk", dit-il. Au cours de la post-production, Dykstra et ses collaborateurs ont défini l'allure des animaux. Les créatures devaient bouger comme de vrais animaux, pas comme des personnages de dessins animés. "Les déplacements des animaux devaient obéir aux lois du règne animal. Par exemple, Yoshi ne peut pas utiliser de marteau car il n'a pas de pouces opposables. De même, Chee-Chee le gorille ne marche pas toujours à la verticale sur deux pattes", explique Dykstra.
Allant de pair avec la gestuelle des animaux, les équipes effets spéciaux et animation devaient déterminer des détails comme la pilosité, la couleur et l'éclat des yeux ainsi que d'autres traits comme la brillance des écailles de dragon pour laquelle les équipes se sont inspirées d'insectes, d’animaux et de créatures marines bioluminescentes. "Il fallait intégrer ces faisceaux lumineux à sa peau, comme des nervures, pour lui donner l'air totalement réaliste tout en faisant référence à l’imaginaire collectif", explique John Dykstra.
La scène de la caverne du dragon a été particulièrement difficile à réaliser puisqu'elle allie deux différents types d'éclairage surnaturel. "La caverne du dragon comporte des éléments bioluminescents qui réagissent de manière positive ou négative aux actions de ceux qui s'y trouvent", explique John Dykstra. "Le dragon possède un faisceau similaire sur sa peau qui refl ète son état physique et émotionnel : l'éclat et les couleurs changent pour exprimer sa colère et sa douleur par exemple. Il était diffi cile de faire en sorte de différencier ces effets dans la caverne et il fallait éviter qu'on les confonde".
Pour le manoir du Dr Dolittle, Stephen Gaghan a visité des centaines de maisons. Pour le cinéaste, il était crucial qu'on se sente dans un endroit réel et pas dans un décor de cinéma. "Je savais qu'on construirait les intérieurs mais je voulais que les refl ets de la lumière dans les jardins et les déambulations des animaux dans ce qui est aussi leur habitat soient naturels. Et nous l'avons trouvé dans cet endroit magnifique, Cothay Manor dans le Somerset, près de la ville de Wellington. Il se visite et figure chaque année dans la liste des plus belles demeures avec jardin. Dès qu'on y est entrés, on a su qu'on avait déniché la maison de Dolittle. C'était en quelque sorte l'étape la plus importante du casting !" Dans le film, Dolittle a modifié la maison pour ses amis animaux. "À l'intérieur comme à l'extérieur, il y a toujours des rampes d'accès qui sont plus adaptées aux animaux. Il a fabriqué une machine pour leur préparer des repas tous les jours et il y a un petit train qui circule dans lequel les souris peuvent grimper. On voulait créer un environnement qui semble tout droit sorti de l'imagination de Dolittle pour que lui et ses animaux puissent vivre ensemble, d'égal à égal, dans la maison".
Michael Sheen, Jim Broadbent, Jessie Buckley et Carmel Laniado ont passé beaucoup de temps sur le plateau représentant la chambre de la reine Victoria au palais de Buckingham. Elle comprend des lambris, du mobilier ouvragé et quatre lustres : tout y est d'une grande richesse mais on y trouve aussi un certain nombre de poupées anciennes, des dessins originaux de poulpes, des loupes et du matériel médical. "Je pense que c'est avec cette pièce qu'on prend la mesure du génie de Dominic Watkins", déclare Stephen Gaghan. "Le décor devait représenter tellement de choses différentes et tout est sorti de son imagination. Le palais de Buckingham tel que nous le connaissons n'existait pas à l'époque où se passe le film. Il n'est pas comparable à l'envergure et à l'opulence de notre palais. La chambre devait suggérer l'intimité et l'émotion nécessaire à un lieu privé qui appartient à une jeune fille qui vient récemment d'être sacrée reine d'Angleterre. La chambre devait évoquer ses passions d'enfance tout en montrant la solennité et les responsabilités propres au pouvoir. Et bien sûr, il fallait qu'elle soit adaptée à une séquence d'action ! Dominic a parfaitement compris tout ça : il pourrait vraiment faire passer un chameau à travers le chas d'une aiguille !"
Perché sur un ensemble impressionnant de mécanismes permettant de se balancer et de se pencher à volonté, le Water Lily, nommé ainsi en mémoire de la défunte épouse de Dolittle, était posé sur une plate-forme mécanique. Les membres des équipes à l'extérieur utilisaient de longues perches depuis la plateforme pour balancer le décor d'un côté puis de l'autre pour simuler le roulis des vagues.
Le dernier décor du film n'était pas situé en Angleterre mais dans le sud de la Californie où Robert et Susan Downey possèdent leur propre mini zoo à Malibu : ils ont recueilli au départ deux chatons, puis deux chèvres, Trigger et Memo, et tout est parti de là. "À présent, on en a deux autres, Cutie Boots et Flash, très mignonnes", déclare Robert Downey. "On a aussi quatre alpagas, Madre, Dandy, Fuzzy et Miss Brain et deux cochons nommés Pops et Ladybug – je pense qu'ils sont frère et soeur. Nos plus récents pensionnaires sont des vaches appelées Oreo et Strawberry. Et au dernier recensement, on avait 17 poules". Il s'interrompt : "Et je veux une meute de dingos". "Non, je ne pense pas", rétorque Susan Downey. "Ok, on ne fait pas ça". Elle rit : "Mais j'avais aussi dit non pour les vaches donc on verra bien !"
Lorsqu’il a fallu gérer les créatures numériques, ce qui revenait à avoir des acteurs invisibles devant la caméra, le directeur de la photographie a dû tenir compte du fait que le département des effets spéciaux devrait les insérer par la suite. "C’était important que les acteurs respectent un certain espace quand ils devaient être en contact avec les animaux", déclare Guillermo Navarro. "Il fallait respecter une dynamique tout au long du tournage et savoir où ils se tenaient : ils devaient faire partie du plan même si cela donnait à première vue un cadrage déséquilibré. Le plan peut paraître en partie vide mais il s’agit de respecter un espace délimité", souligne-t-il encore. "Et aussi, si le plan réunit des animaux et des gens qui bougent, les acteurs doivent avoir conscience de ne pas marcher sur les créatures ni passer à côté d'elles de façon étrange. Les comédiens doivent faire un effort d’imagination pendant leur interprétation, grâce à quoi leur regard peut être direct. Cela requiert de la discipline et il faut absolument que leur regard dénote clairement qu’ils savent où se trouvent les animaux."
Pour Stephen Gaghan, Danny Elfman, le compositeur fétiche de Tim Burton, était une évidence. "Je n'ai jamais songé à un autre compositeur", signale le metteur en scène. "Je voulais retrouver dans la bande-originale ce caractère joyeux et légèrement déjanté qui caractérise la musique des Simpson et l'oeuvre de Tim Burton. Alors qu'il était chez moi et que mes enfants couraient partout dans la maison, on s'est fredonné quelques airs pendant trois heures. Et puis, alors qu'il était dans le taxi qui le ramenait à l'aéroport, il a trouvé le thème principal du film et me l'a chanté au téléphone. Il l'a retravaillé dans le taxi et l'a envoyé à son studio à Los Angeles. Environ trois quarts d'heure après qu'il soit parti de chez moi, il m'a envoyé le thème principal de Dr Dolittle. Quand on s'est retrouvés à Londres pour l'enregistrement de la bande-originale, je me suis rendu compte que chaque morceau était encore imprégné de son inspiration qui l'avait guidé dans le taxi".
Selon le compositeur Danny Elfman, il faut éviter de multiplier les thèmes dans une partition de long-métrage. "Si on veut que le spectateur se souvienne d'une bande-originale, il faut se limiter à deux ou trois thèmes", raconte le musicien. "Ce qui compte le plus à mes yeux, ce n'est pas tant d'avoir un thème pour chaque personnage mais de faire en sorte que l'histoire ait un thème musical : pour moi, le thème fondamental du film, c'est la 'famille'. Mais ce n'est pas le thème du docteur Dolittle. C'est un morceau qui évoque la construction d'une famille composée de différentes créatures. L'autre est un thème romantique qu'on entend à chaque fois qu'on fait allusion à Lily, la chère épouse disparue de Dolittle. Et même s'il y a d'autres morceaux qui accompagnent certaines situations ou personnages, on s'en tient à deux thèmes principaux."