Australienne originaire de Brisbane où elle est née en 1969, Jennifer Kent a débuté au cinéma en tant qu’actrice. Lorsque son intérêt pour le métier de comédienne a commencé à faiblir, elle a obtenu de Lars Van Trier l’autorisation d’assister au tournage de "Dogville", considérant que c’était sans doute une des meilleures écoles pour passer à la réalisation et retenant par dessus tout l’importance de l’obstination. Après avoir réalisé un court métrage en 2005, elle s’est lancée dans son premier long métrage en 2014 avec "Mister Badadook", un film d’horreur qui a accumulé les récompenses dans divers Festivals, dont celui de Gérardmer. "The Nightingale", son deuxième long métrage, a été présenté à la Mostra de Venise 2018 où Jennifer Kent était la seule réalisatrice en compétition, et ce film a obtenu le Prix spécial du Jury. Jennifer Kent travaille actuellement sur son prochain film, "Alice+Frida forever", adapté du livre de l’américaine Alexis Coe sur l’histoire d’un crime qui s’est déroulé à Memphis à la fin du 19ème siècle.
La Tasmanie, 1825. Cette grande île au sud de l’Australie est en phase de colonisation par les britanniques depuis 1803, une colonisation associant le plus souvent le plus souvent des condamné.e.s et leurs gardiens. Face à ces britanniques, qu’ils soient bagnards, militaires ou colons, une population aborigène installée dans l’île depuis environ 35 000 ans et qui, en 1803, comptait entre 5 000 et 10 000 personnes. Clare, une jeune irlandaise de 21 ans, avait été envoyée, par la couronne britannique, purger une peine dans un bagne de Tasmanie pour une raison qui ne sera jamais dévoilée. Toujours est-il que, dorénavant, elle est libre, elle est mariée à Aidan, un compatriote, et elle a donné naissance à une fille, Bridget. Une liberté toute relative puisqu’elle est toujours sous la coupe du lieutenant Hawkins, son officier de tutelle, dont elle attend vainement la lettre de recommandation qui lui permettrait de partir vers une véritable liberté avec son mari et leur fille, et qui, entre temps, en profite pour la violer régulièrement. Le massacre de Aidan et de Bridget par le lieutenant Hawkins, le sergent Ruse et l’enseigne Jago incite Clare à se venger et donc à partir à leur poursuite alors que Hawkins a décidé de partir vers la ville de Launceston où se trouvent les quartiers de l’officier supérieur qui pourrait, s’il arrive à temps, lui permettre de monter en grade et d’être enfin muté dans une région plus hospitalière. Ce délai très court implique d’aller au plus vite, quitte à faire le choix de traverser une région dangereuse et difficile d’accès. Dans ce contexte, être guidé par un aborigène ayant une grande connaissance de la région est une nécessité absolue. Pour le petit groupe mené par le lieutenant Hawkins, ce sera « Uncle Charlie » ; pour Clare, ce sera Billy. "The Nightingale" est un film qui entre dans la catégorie appelée en anglais « Rape and revenge », viol et vengeance, un genre qui a donné naissance à de véritables chefs d’œuvre et à d’abominables navets. Dire de ce film que c’est un pur chef d’œuvre serait sans doute exagéré, mais affirmer qu’il s’agit d’un film puissant et captivant apparait comme une évidence, avec, en plus, une très belle photographie de paysages magnifiques et une peinture sans détour de personnages aux caractères affirmés. Ambitieux, violeur et violent, ne tenant aucun compte de la vie humaine, le lieutenant Hawkins est presque dédouané lorsque Clare lui demande si son comportement vient d’une absence d’amour maternel dans sa jeunesse. Jeune femme qui, depuis sa plus tendre enfance, a eu une vie difficile, Clare se transforme en véritable furie à la perte de son mari et de sa fille. Jeune aborigène qui a dû grandir auprès de ceux qui ont tué tous les membres de sa famille, Billy est un véritable animal blessé, à la fois dur et plein de colère, tout en ayant beaucoup de générosité au fond de lui. Une des qualités principales de "The Nightingale" réside dans la peinture de l’évolution de la relation entre Clare et Billy : une relation qui pendant une bonne partie du trajet, est imprégnée de racisme et d’ignorance, d’un côté comme de l’autre. Pour Clare, Billy n’est qu’un indigène dont, certes, elle a besoin pour ne pas s’égarer mais qu’elle commande avec dureté comme s’il s’agissait d’un animal ; Clare est une européenne et, pour Billy, elle fait partie de celles et, surtout de ceux, qui ont envahi la terre de ses ancêtres et assassiné sa famille et ses proches. Et puis, à force de se côtoyer, à force de s’entraider, Clare et Billy vont se rapprocher et ce, d’autant plus, lorsqu’ils vont prendre conscience qu’ils partagent une même haine envers les anglais.
Bien entendu, on regrettera de ne pas avoir pu voir ce grand film sur grand écran. Il faut toutefois comprendre le choix du distributeur de le sortir en VOD, en DVD et en Blu-ray, s’agissant d’un film dont le tournage s’est déroulé il y a maintenant 4 ans.