Le comportement erratique d’un enfant génère toute la cruauté du chagrin, dans un cercle familial et social fermé. C’est au moins ce qu’on a pu découvrir au sein d’un « Mister Babadook » qui également su interroger sur le désir de mort chez des parents en détresse. Jennifer Kent explore alors un autre versant, toujours aussi froid, mais qui ne distance pas le spectateur de ses sujets, rattraper par l’horreur de l’humanité. Ici, la réalisatrice ne s’engouffre pas dans la radicalité d’un rape and revenge, genre à double tranchant, où la misogynie et le voyeurisme ne font pas bon ménage avec la forme de justice que les victimes empoignent. Au contraire, cette force, cette vitalité s’extirpe de la vulnérabilité de chacun. Tous les personnages en possèdent et ne démontrent pas moins d’ardeur que de laideur le moment venu. Il n’est plus question de rendre les coups parce qu’il le faut et les intentions de Kent se dérivent magnifiquement vers la mélancolie.
Une longue peine purgatoire s’engage alors en Tasmanie, où l’on assiste au modèle réduit de la colonisation de tout un continent, basée sur un rapport de domination, voire d’humiliation. Rarement développée avec autant de hargne, l’Australie du XIXe siècle appartient avant tout aux victimes qui ont irrigué ces terres inhospitalières de leur sang, leur sueur et leurs péchés. Ce foyer pénitentiaire correspond à un climat intolérant et qui ne prend pas le temps de cultiver la sagesse pour s’épanouir. Les hurlements, les complaintes ou simplement le malheur des autres sont l’ennemi de l’officier Hawkins (Sam Claflin), comme de l’ensemble des Britanniques qui s’abandonnent à toute forme de violence. Mais si au fond de son âme, il peut être touché par l’unique chant du rossignol Clare (Aisling Franciosi), il y a fort à parier qu’il ne sait pas ce qu’il écoute. La beauté, la pureté et la sincérité de l’Irlandaise passent bien évidemment par ses mots, mais il n’y en aura jamais assez pour convaincre les abominables de s’abattre sur son foyer, son indépendance et sa liberté. En lui privant de tout cela, en plus de son corps, le tourment est mécanique et retient captif par la même occasion un spectateur, impuissant et voyeur malgré lui.
Nous sommes au cœur d’un débat, où la passivité n’a pas sa place. Les sentiers de la vengeance sont empruntés avec toute la détermination attendue par les codes du genre. Mais au-delà d’une traque qui repousse sans cesse l’échéance et le sentiment de triompher des agresseurs, le film pose une mise en scène radieuse, au milieu d’une jungle qui entretient la même problématique d’une épouse et d’une mère de famille. Un regard suffit à enterrer nos sombres prédictions, d’une part auprès de l’autochtone Billy (Baykali Ganambarr) et d’autre part du côté du premier retour de bâton imposé par Clare. Pourtant, son affrontement suscite un tout autre intérêt que la consolation ou le soulagement, qu’elle guette comme une réaction divine entre deux branches. La foi ne lui est d’aucuns recourt, quand bien même elle commence à y songer. C’est pourquoi elle dévoile tous les maux de son époque en une unique scène physiquement éprouvante, où le titre de bourreau lui révèle enfin ses limites et la vulnérabilité de sa condition de femme blanche. Billy a également ses démons à exorciser, mais son rôle de guide lui permet d’imposer son rythme. Ce personnage qui a tout pour gagner, ce funambule entre deux cultures qui vantent la diplomatie avant la violence, mesure toutefois la portée de son existence, comme d’une servitude qu’il convient de s’émanciper.
« The Nightingale » sonne la révolte contre l’oppression, celle qui a bâti le monde d’hier et celle qui s’est confortablement installée dans nos enjeux d’aujourd’hui. En évitant quelques écueils évidents et souvent mal interprétées, Kent parvient à trouver de la verticalité dans son format 1,37 pour mieux bombarder son cadre de haine et de châtiments, où la loi humaine a autant de valeur que le malaise qu’elle génère. L’impérialisme est ainsi à son meilleur rendu poétique et sert idéalement la culpabilité qui enrobe ce voyage cathartique. Les personnages n’auront que deux horizons à contempler, une vers les nuages et le passé, l’autre vers une aurore qui épargnerait enfin ces âmes mutilées. Mais le printemps qui arrive ne reflète qu’un cycle, une spirale chaotique où les maladies et la faim seront bien les derniers soucis des survivants et des orphelins de ce monde étripé.