Je ne savais vraiment pas à quoi m’attendre avec ‘The nightingale’, film tour à tour hué et encensé dans les festivals où il fut projeté, ensuite malheureusement passé à la trappe pour cause de crise sanitaire. Son schéma primitif rejoint celui du Rape& Revenge, sous-genre complaisant s’il en est, mais le film de Jennifer Kent ne peut être réduit à cette caractéristique restrictive et peu valorisante, car ce n’est pas que la vengeance d’une femme à l’encontre de ses agresseurs qui est traitée ici : c’est aussi celle d’une prisonnière irlandaise déshumanisée par les soudards anglais qui peuplent une Australie coloniale où règne la barbarie la plus abominable, et celle d’un aborigène, témoin de l’extinction inéluctable de son peuple, qui ne peut leur opposer de prime abord qu’une révolte silencieuse et butée. Western historique éminemment australien mais qui ne réclame pas de trésors d’imagination pour se voir doté d’une portée universelle, ‘The nightingale’ a surtout le mérite de n’être jamais là où on l’attend, et de mettre perpétuellement le spectateur en terrain instable, quand bien même ce même spectateur parviendrait à supporter les quelques scènes à la cruauté insoutenable qui ont valu au film sa réputation sulfureuse . Rien que d’un point de vue technique, ‘The nightingale’ est filmé avec une volonté de réalisme cru, presque documentaire, qui renforce sa violence et rend ses scènes oniriques et pseudo-fantastiques presque déplacées...mais c’est dans son climat général que le film recèle ses paradoxes les plus déstabilisants. Pour ne citer que quelques exemples, la scène de viol n’a rien de graphique...mais n’en devient que plus dérangeante, au point de convoquer les souvenirs d’un film comme ‘Irréversible” qui, pourtant, en prenait l’exact contrepied. Loin de faire front contre un ennemi commun, les deux réprouvés, ancrés dans leurs préjugés ethniques, n’éprouvent que haine et mépris l’un envers l’autre. La première fois que Clare retourne la violence contre l’un de ses oppresseurs, situation à nouveau tout en paradoxes puisque l’intéressé est celui qui a commis l’acte le plus impardonnable et celui qu’on aurait pourtant instinctivement préservé de la vengeance en vertu des habitudes de ce genre de cinéma, la scène est filmée du point de vue de ce prédateur devenu victime, ce qui devrait avoir pour conséquence théorique de retourner l’empathie en faveur de celui qui va mourir, et pour tour de passe-passe pratique de ne (consciemment) pas y parvenir. Enfin, lorsque l’instant du dénouement tant espéré arrive, il ne se déroule pas exactement comme on l’avait prévu : c’est une déception...et en même temps un soulagement, même si c’est difficile à expliquer. Sans doute ‘The nightingale’ est-il parvenu à amener son public à un point de saturation tel qu’il ressent instinctivement que rien ne peut être plus cruel que ce à quoi il a déjà assisté et dès lors, que rien ne peut plus être libérateur et cathartique...et il s’agit là d’une sensation unique, totalement contraire à “l’éthique” des films de ce genre, et qui pourtant ne suscite pas le moindre regret.. Bien sûr, au jugé, il subsiste quelques maladresses de (presque) débutante (Jennifer Kent a signé l’intéressant “Babadook’ voici quelques années), quelques longueurs, quelques éléments qu’on aurait imaginé bien différemment pour maximiser l’impact du film...et pourtant, par son âpreté absolue, sa synthèse contre-nature et pourtant brillante de nihilisme et d’espérance et sa capacité à balloter le spectateur de malaise en malaise encore plus grand, sans jamais lui laisser reprendre pied, ‘The nightingale’, plus que beaucoup d’autres, aurait tellement mérité de trouver le chemin des salles où il aurait pu, j’en suis sûr, donner la pleine mesure de son impact.