Matrix Resurrections est un film qui se regarde lui-même.
C'est un autoportrait, critique sur sa propre substance, au même titre que le tableau Les Ménines du peintre Vélasquez se questionne sur sa propre nature en tant que capacité à représenter, représenter soi-même, représenter le regardeur capturé au moment où il regarde..
En effet, d'emblée, le film débute avec le personnage de Bugs dans une simulation du film que nous avons connu en 1999. Pour l'instant c'est Bugs qui fait office de mise-en-abîme, bientôt ce sera nous. Oui, dès lors que Thomas Anderson est réduit au sort de codeur de Jeu Vidéo, nous faisons face à la réalité qui est la nôtre, plus celle de la fiction d'un film.
Notre réalité en tant que spectateur, c'est : "Matrix est une oeuvre-fiction parmi notre réalité". La réalité de Thomas Anderson est donc en tout point identique puisqu'il a lui aussi créée parmi sa réalité le Jeu Vidéo Matrix. C'est à partir de là que les vertèbres de l'oeuvre-Film entament un geste de recroquevillement vers son sein, pour se regarder le nombril.
Le film SE SAIT, se serre la main gauche et la main droite, et met cette auto-conscience en lumière par de nombreuses manoeuvres, par exemple,
le retrouvé Lambert Wilson, qui envoie valdinguer le quatrième mur avec son : "je vais vous faire des séquelles, des préquelles des spin-offs.."
ou encore les développeurs qui somment Thomas Anderson de produire un troisième, quatrième, cinquième volet de sa saga. C'est exactement ce qu'il se passe dans notre monde-spectateur, Matrix a été prolongé pour un troisième, un quatrième.. d'autant plus que dans le film, c'est la fameuse Warner Bros. qui veut ses séquelles, et en dehors de la salle de cinéma,.. c'est aussi la Warner ! En effet ce qui est génial c'est que l'on parle du même objet, Matrix, la franchise. Matrix la franchise, la fiction, est disputé simultanément dans notre monde-spectateur et dans le monde-Thomas Anderson. Vous suivez ? Nombreux sont les autres exemples de ce tour de force assez révolutionnaire en son genre, (ce que l'on appelle le Méta-Récit, latin méta, "en-delà de"), comme Neo qui est confronté à l'oeuvre qu'il a produite, contraint d'y rentrer à nouveau, au même titre que Lana Wachowski fait face au grand-oeuvre qu'elle a produite et de s'y imbriquer à nouveau.
Peut-être les années 2020 (appelons-les les nouvelles années 20 !) sont-elles l'époque de la conscience cinématographique d'elle-même, que témoigne par exemple
le récent Spider-Man Now Way Home,
qui cesse de renier les précédents
Spider-Man
produits au Cinéma des années 2000 à 2020.
Du reste, le film est parfaitement schizophrène, il est régulièrement très mauvais, mal exécuté, mauvais mouvements de caméras, mauvaises chorégraphies, mauvaises coupes, mauvais jeux d'acteurs (Keanu Reeves n'a plus de talent), mauvais décors et lumières, la totale. Et pourtant par intervalles extrêmement réguliers, il devient brillant à nouveau, et le spectateur se promet d'oublier les maladresses passées dès qu'il grimpe à nouveau dans le chariot d'une montagnes-russe d'imbrication et de récit, l'adrénaline fait effet, puis très vite s'épuise à nouveau pour faire face à l'assez regrettable réalisation. Ce qui fait que ces 2h28 en paraissent bien davantage, ponctuées pourtant par d'assez nombreux moments d'extases et de, disons-le, génie.
Matrix Resurrections, Ceci n'est pas une Pipe, Ceci n'est pas un Film. Pas mal.