Il y a vingt ans, on entrait dans la salle pour avoir le fin mot de l'histoire, c'est quoi, la Matrice ? En 2021, on y retourne en se demandant qu'est ce que cache Matrix Resurrections ? Sacrée performance tout de même, re-créer du mystère avec une licence qu'on pensait essorée de tous les côtés. Plus on met bout à bout les éléments, moins on y voit clair. Lana Wachowski retourne aux manettes sans sa sœur Lilly. Keanu Reeves et Carrie Ann-Moss se reconnectent. Morpheus puis l'agent Smith ont droit à une mise à jour. Les bandes-annonces multiplient les rappels aux précédents jusqu'à créer le doute. Pilule bleu ou pilule rouge ? Matrix allait-elle rejoindre les franchises en boucle sur le crédo nostalgique puéril et nocif ? Ou emprunterait-elle une porte dérobée pour nous ré-expédier au pays des merveilles ? Préparez-vous, la réponse est plutôt à chercher de l'autre côté du miroir.
Resurrections est extrêmement conscient du contexte dans lequel il arrive. Plutôt que de s'en prémunir, Lana Wachowski décide d'en faire le cœur palpitant de ce quatrième volet. Une décennie qu'on voit les sagas se recycler sans une once d'imagination, poussant le vice jusqu'à dénaturation. Très bien, le film intègre cette donnée pour en révéler la vanité.
Rejouer les moments phares de la trilogie ? Pas de problème, faisons-comme ça...juste pour démontrer à quel point c'est stupide. Sans prévenir, le culte S.F entame une mue vers la farce méta tout en renouvelant son postulat séditieux, autant adressé à Hollywood qu'aux spectateurs résignés.
À cet égard, les 60 premières minutes sont un pur bonheur. On empile les références, échos, déjà-vus pour s'en amuser, derrière c'est la logique mercantile obscène qu'on dérouille (lors d'un entretien désopilant avec Jonathan Groff). Et si le totem libertaire était devenu symbole d'aliénation ? Revirement complet, comment s'émanciper de son propre héritage ? La prise de conscience bien sûr, sauf qu'elle s'exprime cette fois par le décalage. La photographie solaire, les couleurs pétantes, le ton espiègle, la bizarrerie des personnages,...Au lieu de glorifier le patrimoine Matrix, on le regarde avec un mélange d'affection et d'insolence. La (sublime) mise au point intégrée, l'audace est légèrement remisée.
Une fois les conventions envoyées aux quatre vents, le long-métrage se décide à calmer le jeu.
On retourne sur un chemin plus attendu, quoique Resurrections s'autorise certains renversements scénaristiques ou symboliques très amusants (le bullet-time, par exemple). Le virage dramaturgique, loin d'être un rétropédalage inscrit l'œuvre dans une correspondance avec Cloud Atlas ou Sense8. Sorti de sa chrysalide, le film devient plus romantique. Un énième bouleversement qui va en partie dévoiler les limites de l'exercice. Si on dénote quelques ajouts bien pensés (Jessica Henwick, magnétique), force est de constater que l'univers n'a pas bougé des masses entre Revolutions et ce volet. S'il affiche la plus grande durée de la licence (2h28), on passe tellement peu de temps dans certains environnements qu'il est difficile de les appréhender. Quant au gros morceau censé être l'apothéose de la séance, il est bien trop programmatique pour fonctionner à plein régime. Tous ces problèmes semblent intrinsèquement liés au nouveau style à la mise en scène.
N'espérez pas de prouesses techniques, le film se montre étonnamment classique dans les séquences d'action. Pire, le montage ultra-cut ne différencie pas Resurrections du blockbuster moyen. Passés quelques faux doublons amusants (le combat avec Morpheus ou Smith) - qui font semblant de rejouer le passé pour mieux le pirater - c'est assez plat. L'explosion pyrotechnique finale finit par emporter surtout grâce à un énième détournement des codes, un moment diabolique et à un autre sentimental. À l'arrivée, c'est la lettre d'amour au couple Néo/Trinity qui ressort, permettant à Keanu Reeves et Carrie-Ann Moss de convoler vers d'autres rivages. Neil Patrick Harris et Yahya Abdul-Mateen II s'intègrent logiquement dans cette "relecture" facétieuse.
En ces temps de récupération hors de contrôle, Matrix Resurrections a le bon goût de subvertir les attentes. Un pied-de-nez comme note d'intention et l'inaltérable profession de foi de Lana Wachowski en ses personnages et ce qu'ils représentent. La posture est courageuse, pas facile à tenir. Bien que l'équilibre se rompe à divers moments, on assiste à un acte de résistance rare. Héroïque même.