Lilly ayant quitté le navire à raison, il ne restait plus que Lana Wachowski pour assumer le prolongement d’une saga qui n’en a jamais eu la nécessité vitale. Les suites du film de 1999 (Reloaded et Revolutions) se sont présentées comme une rupture dans le continuum, avec évidemment ses faiblesses, mais sans perdre pied sur des propos qui nagent à l’unisson de notre époque. C’est une nouvelle fois le cas avec ce quatrième volet, arrivé comme une bénédiction pour des fans hystériques et comme une malédiction pour le reste. Et le revers de main sera encore plus fort que dans la précédente proposition que la réalisatrice veillera à mettre K.O. tous ceux qui se seraient fourvoyer dans une nostalgie au premier degré. Critique presse, grand public et cinéphiles, personne de sera épargné dans ce qui s’ouvre comme un plaisir méta et aucunement régressif. Bien au contraire, cette dernière excursion dans la matrice a d’autres objectifs.
Ce serait un tort de se lancer dans cette aventure, mais également un sacrilège de ne pas en absorber sa substance, aussi virulente soit-elle. « Matrix » est à présent ancré dans un imaginaire collectif, qu’il convient de reconsidérer et on ne se cache pas de nous refaire tout le catalogue de son succès en premier lieu et à travers un regard extérieur. Ce recul sera d’ailleurs employé à bon escient, comme le dernier cri de guerre d’une œuvre déjà à la retraite. Il s’agit d’univers où tout se répète, que cette boucle temporelle rime avec les blockbusters hollywoodiens d’aujourd’hui, provenant du même bois synthétique, qui ne font que resservir la même sauce avec de nouveaux visages. C’est une évidence quand on le redit, mais que la plupart des spectateurs n’ont pas encore assimilés. Et c’est dans un jeu de dialogue intuitif entre la cinéaste et chaque individu, venus s’installer devant l’écran, qu’elle nous raconte ce qu’elle a sur le cœur, au risque de perdre du soutien et dans ce cas bon vent.
Retourner dans la matrice, personne ne l’a demandé à l’exception des exécutifs, qui ne cherchent ni à respecter, ni à sauver ses icônes. Lana revient pour mener à bien une dernière quête avant de quitter définitivement la matrice et cela se sent de bout en bout. Nous reconnaissons aux Wachowski de nous avoir emballés et d’avoir marqué l’histoire avec une démarche authentique et déroutante, mais cette fois, c’est pour y déposer le point final. Ce n’est pas non plus pour nous rouer de coups sans concessions, il y a de l’optimisme et une sainte bienveillance dans cette approche, qui ne proposera pas de grandes nouveautés. Les codes seront les mêmes, les références recyclées à la manière des gros studios qui essorent les licences jusqu’à épuisement. C’est pourtant de l’espoir et de l’amour que l’on nous offre, contre toute attente. Un espoir de renouer avec la création et une chance de se défaire de nouveau de l’emprise de la matrice, calqué sur la démarche d’Hollywood et son mode de consommation.
Bien entendu, nous retrouverons nos héros et quelques fois sous une autre apparence, qui laisse alors l’absurdité de la nostalgie s’exprimer. On ne revisite pas simplement les mêmes thématiques d’émancipation et d’épanouissement personnel pour un fan-service doser. C’est à l’opposé de l’illustration qu’il faudra regarder le schéma qui se dessine, un schéma classique, mais qui ne boudera pas sa générosité dans les moments clé. L’action, suspendue à l’influence hong-kongaise, boude un peu plus et la majorité des chorégraphies est délaissée, ou reste mineur dans le développement. Ce n’est plus un sujet ou une envie de dépasser la technique précédente. On en détourne les artifices pour mieux nous renvoyer le discours de Lana avec une trajectoire qui défie l’improbable. Les combats sont moins lisibles, surcutés et c’est dans ce genre de cadre qu’on en vient à se laisser surprendre une nouvelle fois, malgré que l’on soit un fin connaisseur de l’univers ou partiellement. Par ses nombreux aspects repoussants, « The Matrix Resurrections » séduit, simplement parce qu’il sait pourquoi il est là et que ses enjeux sont au-delà de ce que la saga a déjà pu offrir. L’autrice est revenue pour sauver ses personnages d’un destin tragique, pour leur offrir une seconde vie dans les esprits, non pas à l’écran. Et c’est toute la nuance qui viendra chatouiller les plus sceptiques, qu’ils soient innocents ou inconscients. À coup sûr, on devrait rester éveillé après ce coup de fouet.