All the money of the world s’empare de Getty père (et grand-père) pour le peindre sous les traits d’un fondateur de dynastie, à la tête d’un empire contre lequel Gail Harris s’efforce de lutter. La visite des ruines d’un palais, à Rome, le laisse songeur : il affirme descendre d’Hadrien ou en être la réincarnation vivante, transmet pour cela à son petit-fils l’importance à accorder au sang. Il ne cesse de lui répéter « tu es un Getty », insistant sur son nom et sur la noblesse, le prestige et la puissance de celui-ci dans le monde. Paradoxalement, c’est ce nom qui causera sa perte, puisque Paul junior ne tarde pas à être kidnappé contre rançon. S’opposent alors deux camps : celui de la mère, qui veut récupérer son enfant et cherche donc à persuader Getty père de payer ; celui de Getty père qui refuse de perdre sept millions puis quatre, contestant le fait que tout le monde veuille son argent. Une grosseur cancéreuse aux testicules, une oreille, la souffrance humaine ne conduit jamais le milliardaire à courber l’échine. Toutefois, le manichéisme demeure de surface : derrière cet antagoniste apparent, Scott représente un être fragile qui vit dans la peur de manquer. Ses investissements compulsifs, ses achats d’œuvres d’art, ses projets immobiliers luxueux lui donnent l’illusion d’une présence, matérielle en l’occurrence, apte à se substituer aux hommes et à la versatilité de leur cœur. « Il y a une pureté dans les belles choses que je n’ai retrouvée chez aucun être humain », déclare-t-il à Fletcher Chase : on ne peut se fier qu’aux objets, parce que leur valeur augmente avec le temps là où les sentiments s’étiolent et les mariages se brisent devant les tribunaux. Il meuble sa vie comme il joue aux échecs : dans l’espoir de triompher de la mort. Le dernier plan sur Getty père capte à merveille son désarroi et sa faiblesse congénitale : en contemplant La Vierge à l’Enfant, il prend conscience de l’importance de posséder et d’aimer une famille, jusqu’alors réduite à de simples « visiteurs » voire à des « parasites ». Pourtant, Scott ménage un retournement inattendu et cynique : le buste de Getty qui fixe son héritière. Il aura donc réussi : atteindre l’immortalité en inscrivant son nom dans l’Histoire comme son visage appartient désormais à l’art. L’humanité de All the money of the world est constituée de corrompus et d’intéressés qui obéissent à l’adage exposé en ouverture : « Tout a un prix, la question est de s’entendre dessus ». Le cinéaste ménage néanmoins une porte de sortie : le duo formé par Gail et Fletcher paraît porter en lui des germes d’une relation à venir, ouverte sur un amour désintéressé et véritable. Mais tout cela n’est qu’hypothétique, et le film s’achève sur l’air épouvanté de Gail devant un milliardaire réincarné en pierre, à jamais présent dans son existence. Un long métrage de grande qualité, servi par une réalisation alerte et d’excellents acteurs.