Les tous premiers avis des spectateurs n’étaient pas des plus chaleureux vis-à-vis de ce second film 2017 signé Ridley Scott. J’ai donc temporisé un peu, le temps de voir l’évolution de la tendance générale trahie par la note. C’est donc avec une certaine appréhension que je suis allé voir ce film qui relate un fait divers. Sans attendre, Ridley Scott nous emmène à Rome, là où cette affaire hors du commun a commencé au beau milieu de l’année 1973. Nous sommes invités à suivre le jeune Paul Getty en train de déambuler tranquillement dans la capitale italienne, plus précisément pour les curieux sur la Piazza Navona au centre de laquelle trône la magnifique Fontaine des Quatre-Fleuves, située à proximité de la Place Farnèse, là où eut lieu le véritable enlèvement. En lisant quelques avis publiés ici et là, on peut remarquer que certains n’ont pas adhéré au film simplement parce que le refus catégorique du grand-père à verser le moindre centime pour honorer la rançon parait inconcevable, alors qu’il a de l’argent comme les chiens ont des puces. En pire. C’est justement là que c’est intéressant : parce que malgré la somme colossale demandée, on trouve ce refus tout bonnement scandaleux. C’est pourtant ce qu’il s’est passé. Pour bien comprendre le pourquoi, Ridley Scott et son scénariste ont choisi de développer dans un premier temps la psychologie du grand-père, alors décrit comme la plus grande fortune mondiale ayant jamais existé jusque-là. Tout de suite, Christopher Plummer fait sentir son énorme présence, et son charisme lui permet de jouer ce vieil homme qui ne pense qu’à l’argent, ne vivant qu’à travers l’argent et pour l’argent. Tout au long du récit, l’acteur suscite chez le spectateur une certaine admiration, dans le sens que nul n’ignore que ce comédien a remplacé au pied levé Kevin Spacey, ce dernier étant accusé d’harcèlement sexuel. Une sacrée performance, d’autant plus que remarquable que l’intégralité des scènes avec le vieux bonhomme à l’écran a dû être re-tournée, et cela sans changer la date de sortie initialement prévue, ce qui constitue une véritable performance. Mieux, Christopher Plummer est si convaincant qu’on ne voit pas comment Kevin Spacey aurait pu faire mieux… ou aussi bien. Son personnage est… comment dire ? Détestable à souhait.
Si détestable que lorsqu’il se fait enfin rentrer dedans, ça en est jouissif.
Après tout, c’est bien lui qui détient dans ses mains le dénouement de cette histoire pas comme les autres. Alors oui, il est superbement détestable, et pourtant son argument qui le pousse à ne pas verser le moindre kopeck est d’une logique implacable. Quant au récit, au vu du pitch, on pense toutefois se diriger vers l’affrontement entre les ravisseurs et la famille du jeune Paul Getty. Il est certes présent (bien qu’il prenne une tournure quelque peu curieuse
en regard du temps qui passe et du comportement de l’un des ravisseurs
), mais dans une moindre mesure puisque l’attention va très habilement peu à peu se focaliser principalement sur l’affrontement que cette mère démunie va livrer à son beau-père, que ce soit de façon directe ou à distance. Il en découle un thriller psychologique, saupoudré d’un inévitable soupçon de dramaturgie, sans entrer de trop dans le monde très fermé des affaires et de la finance. Cette approche est la bienvenue et a le mérite de servir au spectateur quelque chose de différent en matière de kidnapping. La mise en scène, bien que sophistiquée et sobre à la fois, y est pour beaucoup puisqu’elle installe comme on peut s’y attendre une ambiance tendue, une ambiance lourde servie par la bonne (bonne parce que très à propos) partition de Daniel Pemberton. Et c’est avec un grand intérêt que nous suivons ce combat pour la survie d’un jeune innocent, dont le seul tort est d’être le petit fils d’un homme immensément riche. Et surtout, le spectateur se surprendra lui-même à détester très fort le doyen que rien ne semble émouvoir, au point de ne pas tenir en place dans son fauteuil tant ce comportement interpelle et scandalise au plus haut point. Bien que ne connaissant pas l’œuvre littéraire à partir de laquelle ce film a été imaginé, d’autres aspects n’ont pas été oubliés. A commencer par les médias, avec ces journalistes qui risquent pour ainsi dire leur vie pour avoir la meilleure photo, la meilleure sonorité sur le moindre éventuel commentaire. Et ça se dit opérer dans le simple but d’informer… C’est honteux mais c’est ainsi, et ça ne manque pas d’évoquer un certain dégoût pour la profession de journaliste, des journalistes stigmatisés ici comme de vrais rapaces prêts à s’abattre sur leur proie, en l’occurrence une proie de choix. En plus de ne pas être anodin, le récit se fait plus précis encore en mettant en scène un autre personnage, coiffé pour le coup d’une double casquette, en la personne de Fletcher Chase, joué par Mark Wahlberg. Cependant, on pourra regretter que ce rôle ne soit pas plus exploité, tant par moments il semble étrangement en retrait, au point de le reléguer en ces instants presque au rang de simple spectateur par rapport à cette épineuse affaire. C’est assez curieux d’ailleurs, je dois dire… Curieux, oui c’est le mot qui convient aussi à cette étrange affaire. Oui, étrange, voilà le mot parfait en regard des ravisseurs
, et de cette forme d’empathie qui naît entre l’un d’entre eux et la victime
. Parmi ces ravisseurs, on a du mal à reconnaître dans un premier temps Romain Duris, littéralement transformé pour les besoins du rôle. Mais une fois qu’on s’est fait à sa nouvelle apparence, il est franchement convaincant. En effet, il porte cette apparence avec un tel naturel qu’on croirait aisément qu’il a l’habitude de vivre dans ce train de vie. Et pour le coup, il constitue la sale bobine la plus marquante du film ! Même s’il tombe un peu dans le cliché du sombre voyou typé arrière-pays avec ses belles dents blanches qui contrastent avec le teint hâlé et buriné de son visage. Cependant n’attendez pas de scènes d’action. D’abord parce que l’histoire ne s’y prête pas vraiment, ensuite en raison de la nature des différents personnages. De plus, il faut reconnaître qu’elles ne sont pas vraiment nécessaires, tant c’est captivant de bout en bout (les 2h15 passent à une vitesse grand V), à condition toutefois de ne pas se rendre en salle plus ou moins fatigué, auquel cas vous vous exposez à ne pas tout capter et à décrocher de façon irrémédiable pour trouver ce film finalement plutôt pompeux. En revanche, l’immersion dans les années 70 est parfaitement rendue par les véhicules et les tenues vestimentaires, en particulier sur Gail Harris. En somme, "Tout l’argent du monde" est un excellent film qui se termine sur une sorte de pirouette visant à expliquer l’avarice (et encore, le terme n'est pas assez fort) de ce vieux monsieur. Mais toutes les questions ne sont pas pour autant résolues, en particulier une
: John Paul Getty (Christopher Plummer) a-t-il tenté quelque chose de son côté, ou avait-il vraiment les mains liées par le statut de la gestion de son patrimoine ? Voilà la question qui me reste en tête..
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