Sale temps à l'hôtel El Royale se vendait bien : bande-annonce dynamique, casting au point, et surtout Drew Goddard à l'écriture et à la mise en scène. Showrunner de la tuerie Daredevil et scénariste de Cloverfield ou World War Z, Goddard s'impose ici comme un réalisateur qui veut avoir une vision d'auteur accompli au point d'aller piocher à droite et à gauche, et d'empêcher son oeuvre d'avoir, finalement, sa propre personnalité.
On y retrouve des touches de lumières et de couleur des frères Coen, le cadrage et la direction d'acteurs de Tarantino, la vision d'auteur génial en moins. On retrouve ces éléments dans la manière qu'il a de caractériser ses acteurs; Jeff Bridges, prêtre, fait penser à une version aseptisée des personnages des 8 Salopards; quand à Chris Hemsworth, survendu tandis qu'il n'arrive que vingt minutes avant la conclusion, il écope d'un rôle de sous Charles Manson pour lequel il passe son temps à imiter Johnny Depp, sans jamais donner l'impression qu'il y croit.
On se rend alors compte de la volonté qu'à Drew Goddard de faire prendre la pose à son film; Hemsworth en plein surjeu, qui croit qu'il a réinventé l'eau chaude, face à un Jon Hamm aux airs de Batman qu'on nous survendait une fois encore, et qui n'a que peu d'importance dans l'intrigue globale. Et le casting a beau être sympathique, il est tellement dirigé comme un ersatz de Tarantino qu'il n'a finalement plus d'autre relief que celui de reproduire ce qu'on avait déjà vu en mieux.
Cela, on le retrouve également dans l'écriture. Lente, à la limite de la prétention, elle passe tellement son temps à vouloir bien faire les choses qu'elle s'enferme elle aussi dans une reproduction du travail du réalisateur de Pulp Fiction, au point même de reprendre sa narration scindée qui fit la sève de son art avec, notamment, le film cité précédemment; souvenez-vous de cette scène d'introduction qu'on suit des yeux de Tim Roth pour, à la fin, la voir du point de vue de Samuel Jackson.
Goddard reproduit ce procédé narratif, sans l'avoir bien compris; c'est ainsi qu'on se retrouve avec une scène vue par trois personnages différents; celui de Jon Hamm, l'autre de Lewis Pullman, celle de Cynthia Erivo (sûrement la meilleure actrice du film, d'ailleurs), sans que cela n'ajoute de réel plus à l'intrigue, si ce n'est du temps supplémentaire. On retrouve aussi cette perte de temps dans des scènes ouvertement contemplatives, au point de ne plus rechercher la vraisemblance.
Viennent en point d'orgue ces insupportables passages chantés, au nombre de trois ou quatre, et qui font défiler des minutes entières sans rien apporter de neuf à chaque fois, si ce n'est quelques nouveaux plans de caméra. Etait-ce véritablement la peine de filmer si longuement le passage de la recherche du butin, où les coups de marteau viennent se juxtaposer sur le chant de notre fameuse héroïne? Et que dire de ce passage ridicule où on lui propose de chanter encore à l'orée de sa conclusion, comme si le reste n'avait pas assez appuyé le propos ?
A l'instar de ces flashbacks disséminés un n'importe où, alourdissant plus le rythme du film que ce qu'ils lui permettent en terme de profondeur d'écriture. Il suffira du combat final pour comprendre à quel point Goddard n'aura pas compris leur intérêt dans les films de Tarantino; plus que des rappels, ils permettent surtout de soutenir, par les révélations du passé, l'action du présent. On quitte clairement ce registre avec la révélation du flashback final, arrivé en plein combat, et propice à l'énervement du spectateur; quand le film abandonnait sa volonté de copier et prendre la pose, quand il décidait d'enfin régler ses comptes avec ses personnages, voilà que ses manies d'écriture reviennent tout gâcher.
D'autant plus que si la photographie rattrapera sans problème quelques détails irritants de sa rédaction (l'éclairage est réussi, et la représentation de l'hôtel en fait un lieu vivant faisant un peu penser au Bates Motel ou à celui de Shining), ses dialogues ont la fâcheuse habitude de rechercher des punchlines toujours plus marquantes, sans jamais parvenir à les rendre percutantes. Ni du niveau d'un Leone ni de celui d'un Dirty Harry, Sale temps à l'hôtel El Royale accumule les clichés dans son écriture au point de se terminer dans un combat d'immense pathos à deux balles, sur fond de rédemption christique et de purification par le feu.
Son rythme plombé faisant qu'on ne ressent aucune montée progressive vers son dénouement, l'action de conclusion n'aura que peu d'impact sur le spectateur, si ce n'est celui non négligeable de le libérer enfin après deux heures et demi de reproduction, de bavasserie et de quelques acteurs qui ne jouaient pas trop mal. Certes beau, Sale temps à l'hôtel El Royale, par sa volonté de bien faire en s'inspirant d'autres grands, a finalement mal fait en tombant dans la copie pure et simple, donnant à son film des airs de 8 Salopards en moins réussi, sur tous les points.
Décevant.