Lorsque 2000 touche à sa fin, le bilan de James Gray est particulièrement amer : The Yards, son dernier film en compétition à Cannes se fait d'abord bouder par les festivaliers pour subir quelques mois plus tard un échec critique et public et ce, des deux côtés de l'Atlantique. Quelle gifle pour celui qui, cinq ans plus tôt, avait impressionné l'ensemble des cinéphiles avec Little Odessa. Pourtant ces deux films de James Gray ne sont pas si différents et restent tous les deux de très bons films. Ils traitent tout d'abord du même sujet sans tomber dans la redite, grâce à d'excellentes influences qui vont de Friedkin à Coppola. James Gray arrive dans The Yards à trouver le juste milieu entre ambitions artistiques et divertissement. Les thèmes déjà présents dans Little Odessa tels que l'ambivalence de la famille, l'expiation et la douloureuse trahison se retrouvent dans ce film. Mais cette fois, James Gray racle, affine et polit sa trame afin de dégraisser le superflu générique de son genre de prédilection, et ne retenir que l'essentiel : la tragédie de personnages incapables de contrôler leur destin, condamnés par avance. The Yards est doté d'une noirceur sans égal mise en scène par une originalité flagrante : e film commence par trente secondes de noir symbolique avant de voir Leo émerger d'un tunnel de métro, ce même noir qui envahit quelques minutes plus tard l'appartement de sa mère lors d'une coupure de courant survenant curieusement alors que Leo et Erica sont côte à côte ; ce noir annonce bien sûr la nature éminemment destructrice de leur relation. The Yards est donc traversé par une fatalité d'une noirceur terrifiante, manquant fréquemment de s'enfoncer dans les ténèbres silencieuses. Et c'est là que réside le grand talent de Gray : parvenir à assimiler un univers d'images glacées avec des musiques solennelles, où chacun fait preuve de réserve dans le plus profond de son malheur, et réussir malgré tout à nous immerger dans un niveau d'implication rarement atteint afin de mieux nous toucher quand le couperet de la fatalité tombe. Doté d'un réalisme et d'un casting incroyables, The Yards une oeuvre d'une cohérence sans faille, qu'il s'agisse de sa mise en scène, de ses choix esthétiques, jusque dans la symétrie de son récit. Le film finit comme il commence : Leo assis dans une rame de métro, faisant le chemin inverse. Entre-temps, il ne s'est pas reconstruit ; pire, il n'a semé que le malheur et la désolation. Alors, Leo retourne d'où il est venu, dans le tunnel, aller simple cette fois vers le néant. Il le sait, nous aussi et on en a les yeux humides. Tout ça aussi grâce à l'interprétation grandiose de Walhberg, Phoenix et Theron. Un très bon film, qui lance une carrière fulgurante pour James Gray.