6ème film Compétition Cannes 2000 : Les voies de la censure cinématographique en régime totalitaire, en l'occurrence ici en République Populaire de Chine, sont parfois impénétrables et l'acteur-réalisateur Jiang Wen, pourtant star en son pays pour son duo avec Gong Li dans le Sorgho Rouge, en a fait les frais, l'unique représentant de la Chine dans la 53ème édition cannoise subissant le joug de la censure du Bureau du Cinéma pékinois pour être boycotté par les autorités de son pays. Décision étrange pour un film, certes dénonçant les attitudes bellicistes (parfois réciproques) en prenant pour cadre la fin de la guerre sino-japonaise en 1945, peignant la couardise de certains villageois se résignant à pactiser avec l'ennemi envahisseur pour des raisons de survie. Pour autant, les victimes sont bien chinoises et les compromissions peuvent être excusables, les militaires japonais demeurant parfaitement décrits comme des oppresseurs violents, hystériques, cruels, de véritables démons, avec une dose de cynisme qui se retournera contre la naïveté de leurs adversaires ruraux. Ceci est d'autant plus paradoxal que le film "le Sorgho rouge", ayant fait les heures de gloire de Jiang Wen, traitait d'un sujet analogue, dans les années 30 et se plaçait déjà du côté des paysans chinois, dans un ton certes différent, plus proche du drame et de la romance. Dans un noir et blanc bien léché, c'est la rupture de ton qui fait l'originalité du film, qui mêle au départ farce et suspense, pour décrire ces paysans chinois, gardiens contre leur gré d'un prisonnier japonais et son interprète, dont ils peinent à décider du sort à leur réserver faute de retour des ravisseurs anonymes (mort, libération, monnaie d'échange), tergiversant, temporisant, horrifiés de devenir bourreaux à leur tour. La voie pacifique et réconciliatrice envisagée conduira au basculement du film dans le tragique et l'horreur, dans une gradation qui rend ce film constamment passionnant et sidérant, malgré quelques longueurs, notamment dans les débats sur le sort des captifs. L'horreur de la guerre est toujours dénoncée tout comme le jusqu'au boutisme du code d'honneur martial japonais, faisant de ce film une agréable surprise, revenant sur une période encore mal connue pour les cinéphiles occidentaux, et consacrant la conversion derrière la caméra d'un acteur dont c'était seulement le deuxième film en tant que réalisateur.