Cette critique risque de vous révéler des éléments principaux de l'intrigue de l'oeuvre.
Si l'on peut considérer, au départ, Battleship Island comme un film de propagande coréen, son générique de fin nous révèlera, au travers d'un petit texte bien venu, qu'il est en fait une oeuvre contestataire demandant des comptes au nom des grands oubliés de la guerre, de ceux qui sont morts dans les camps japonais sans qu'on rende à leur famille le soulagement de savoir ce qui s'y passait, les livres de comptes brûlés ayant envoyé des noms entiers dans l'oubli.
Encore plus qu'un film anti Japon de l'époque, il se développe surtout autour d'un axe majeur, l'anti guerre. Battleship Island prône l'humanité en temps de guerre, la solidarité entre étrangers unis par une même galère, et pointe du doigt celui qui bat, viol, tue ou ment pour son intérêt personnel (notamment dans une fantastique scène, d'ailleurs superbement filmée, de dévoilement au grand jour des agissements d'un traître, scène au rythme intense, à la photographie virtuose).
Ce n'est donc pas pour rien s'il nous présente plusieurs personnages (tous développés et attachants) de divers horizons : fruits d'un melting-pot d'exterminés, les camps nous dépeignent les prisonniers comme des frères d'armes, les montrant plus martiaux que les soldats eux-mêmes, rendus mauvais, produits du vice, ou simple victimes d'un système qui les envoya, eux aussi, à la guerre.
Tout cela dans un contexte de fin de guerre mondiale; peur pour les japonais d'un jugement mondial équivalent à celui des nazis (la libre explication des livres de compte brûlés trouve d'ailleurs tout son sens dans cette logique de chute d'un empire guerrier), enchaînement de catastrophes pour les survivants échappés qui se retrouveront, fin 45, face à l'enfer nucléaire dans un dernier plan au lyrisme renversant.
C'est là qu'on prend pleinement conscience de la beauté du travail de Ryoo Seung-wan, qui non content de filmer, dès son introduction, magnifiquement bien les mines et la dureté d'y travailler, met au point un travail de reproduction titanesque doublé d'un film de guerre sentimental et déchirant, ou des amants meurent, poétiquement, l'un contre l'autre, au sein de la seule chose qui les aura unie : le désir de vaincre l'oppresseur par les armes, en sachant bien qu'ils n'en réchapperaient pas.
C'est aussi l'histoire d'un chef-d'orchestre et de sa fille, père de famille lâche forcé, par l'évolution des évènements, à devenir un survivant prêt à tout pour que survive son sang, vecteur de ce magnifique plan final en couleur et noir et blanc, genre Sin City avec une sensibilité poétique. Le tout agrémentant une histoire qui n'évite certes pas un certain sensationnalisme à la Spielberg sur le Soldat Ryan, au travers d'un combat final superbe mais bourré de poncifs et de mélodrame pas forcément bienvenu, encore que le développement des personnages et la conclusion de leur histoire rattrapera les clichés typiquement américains instaurés, peut-être, pour plaire au grand public.
Battleship Island, s'il est doté d'une sensibilité touchante, réussi donc son travail par son écriture convaincante gérant bien ses personnages, son pitch et l'évolution du tout; par sa mise en scène aussi, d'une efficacité redoutable, belle quand il le faut, choquante aux moments adéquats, et qui gère son rythme d'une main de maître. La tension ne s'en va jamais, en témoigne cette dernière heure d'ultra-spectaculaire déchirant, revenu à échelle humaine au travers d'une dernière scène émouvante, destructrice.
Solide.