"Nomades », un exil filmé du point de vue de la "mer-med", mère archétypale des suds...sublimée dans le personnage de Naïma. La maman qui reste au quai et observe ses fils se "noyer" dans les illusions de la migration. Une production franco-marocaine vraiment réussie.
Au Saint André des Arts, le 7 Aout 2019, sortie cinéma, en présence du réalisateur, des producteurs, ainsi que l’actrice principale, de « Nomades », une réalisation franco-marocaine signée par Olivier Coussemacq. Nomades est un film sur l'immigration qui sort du lot, s'attardant sur ceux qui restent à quai. Les « guetteurs d’exil » (Le Houérou, 2018), les adultes impuissants, qui assistent à l’illusion des départs et à la cruauté des arrivées ou des voyages avortés.
Synopsis
Naïma a élevé seule à Tanger ses trois fils. Deux déjà ont pris tragiquement le chemin de l'exil. Alors quand Hossein le dernier envisage à 16 ans de partir à son tour, elle invente un prétexte familial et l'entraîne vers un village du sud du Maroc. Tenant désormais sa mère pour responsable de ses frustrations d'adolescent citadin, Hossein lui oppose une résistance sans merci.
« Bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler d’un film sur l’exil, je voulais pourtant ajouter
d’autres points de vue à une vision partielle et partiale des exils partout colportée : la douleur
de l’exil pour ceux qui restent ; le choix par défaut, quand on préférerait rester auprès des siens;
mais pourtant l’impérieuse nécessité de partir, quand l’ailleurs et une vision mondialisée vous
ouvrent en rêve un espace d’expérimentation et de liberté qui se refuse à vous là où vous êtes
né. Je voulais dire enfin la terre libre des hommes, avant que ne se l’approprient des forces illégitimes; et la sagesse de ceux qui ne croient pas hasard. Naît-on là où l’on naît par la fantaisie d’une loterie perverse ? Faut-il fuir ou lutter ? »
C’est par ces mots que le réalisateur explique la problématique de l’exil qui est le prétexte au drame et le contexte de l’histoire. Mais le film est essentiellement une vision de l’exil du point de vue de la mère « méditerranée », la maman ce des garçons et de son impuissance à les garder auprès d’elle. Le jeune Hossein est victime du miroir aux alouettes d’un monde connecté. Les rapports mère/fils et les relations entre frères sont, ici, formidablement explorés. Une lecture psychanalytique du film nous inciterait à y voir une « privation maternelle ». Migrer, c’est quitter sa mère et illustrer -par cette approche filmique- les théories de l’ethnopsychiatrie (Devereux).
La rupture du contexte culturel marocain exploré ici visuellement avec force et beauté consomme une rupture à la mère comme matrice du cadre psychologique culturel interne de la personne (Devereux, 1970 ; Nathan, 1986). D’un point de vue formel ce n’est pas tant le scénario d’un adolescent en quête d’ailleurs victime des éblouissements du monde connecté qui m’a vraiment intéressée mais plutôt les cadrages, la distribution de la lumière, les jeux avec la pénombre et la sublime lumière du sud marocain. La lumière est si intelligemment utilisée qu’elle se suffit à elle-même pour évoquer les émotions des personnages.
Olivier Coussacq affirme avoir parcouru des milliers de kilomètres « pour découvrir ne serait-ce que la ferme idéale du sud. Sans cliché touristique. Sans respect à la lettre d’une quelconque typicité régionale. Une résistance constante à Tanger à la mémoire coloniale, balisée et attendue, pour arriver plutôt à une représentation contemporaine de la réalité quotidienne marocaine. » (Cf son dossier de presse). Il avoue en quelque sorte une exigence de vrai et une approche du réel quasi anthropologique qui est confirmée par les discussions autour du film au Cinéma Saint André des Arts, le 7 Aout 2019. Nous étions 10 personnes dans la salle ce jour là et c’est bien dommage pour cette œuvre. Le producteur marocain, également acteur dans le film nous déclare : « Le film aurait pu être fait par un Marocain. On ne réalise pas que l’auteur est un étranger ».
Illusion ou réelle imprégnation du réalisateur imbibé dans le contexte marocain au point d’épouser les codes locaux? Observation participante de l’anthropologue ou du chercheur de vérité ? Le réalisateur s’est-il fondu à ce qu’il a pu observer ? L’observateur s’est il décalqué sur la société marocaine ? C’est certain. Cette imprégnation transpire dans les images et les choix des cadrages. Elle est au cœur de cette lumière.
Comme dans la l’allégorie de la caverne de Platon, les objets qui sont projetés- dans ce contexte - sont les ombres de la réalité de prisonniers attachés par les cous et entravés au point de ne plus réellement voir leur propre réalité. Victime des projections. Hossein est victime des projections d’un monde occidental hyper-connecté. La seule qui aborde la lumière crue de la vérité, le réel et son implacable cruauté, c’est la mère/courage, stéréotype du féminin héroïque poussé à son paroxysme de mater-dolorosa (l’actrice est exceptionnelle dans ce rôle).
Là encore, on est dans un emboitement d’illusions. Les personnages sont tous aux prises avec l’illusion comme le spectateur. Les explications de l’équipe, je jour de la sortie du film, traduisent de l’honnêteté et une grande fraîcheur sur l’altérité. Dans le fond que le réalisateur soit Français ou Marocain, homme ou femme, importe peu, car ce qui est touchant l’est universellement. Anthropologiquement le terme « Nomades » répond à une définition. Il est question de sociétés pastorales ayant des parcours extrêmement balisés. Afin de respecter le souci de regard dans une démarche de « véracité » qui se pense en rupture avec toute démarche touristique et « exotisante », il faudrait rappeler que la confusion entre « Nomadisme et Migrations » ne sert pas la vérité.
Comme nous le dit Jacques Legrand (Diogène, 2007) « la confusion est en effet fréquente entre pastoralisme nomade et migration, dont les traits communs seraient le mouvement et la mobilité. La présence de ce trait serait à ce point fondamental qu’il peut conduire jusqu’à une assimilation pratiquement sans nuance de ces deux modes de l’activité humaine. C’est une démarche du même type qui consiste par ailleurs à associer le qualificatif « nomade » à tout mode de vie, toute activité, même momentanée, désormais toute technologie qui sont ou semblent comporter une dimension mobile essentielle. C’est à titre de précaution qu’intervient ici un rappel majeur : le nomadisme est inséparable du pastoralisme, et tout autre emploi comporte une dimension métaphorique qui ne serait pas nécessairement une manipulation si elle était assumée, mais qui est le plus fréquemment passée sous silence. » (Legrand, 2007)
De mon point de vue et pour conclure. Il y a dans le regard filmant une transcendance qui relève encore et toujours d’un point de vue « exotisant » sur l’Autre. Un orientalisme (Edward Saïd) se profile à l’ombre des représentations. (La caverne de Platon).
Mais cet orientalisme est partagé par l’ensemble des modes de représentations. Penser que l’on peut penser en dehors des représentations demeure une illusion. ….On est toujours l’exotique de son voisin de palier …..