A une époque où la liberté de la presse est de plus en plus souvent esquintée et où la légitimité de la profession est sans cesse remise en cause, le nouveau long-métrage de Steven Spielberg arrive dans nos salles obscures comme une œuvre éminemment symbolique.
PENTAGONE PAPERS devient instantanément, à en lire divers articles, le film qui se charge de porter secours aux journalistes et autres investigateurs, dans l’optique de redorer le blason et de reconsidérer le statut de la presse écrite dans notre société actuelle.
Là où, dans notre société consumériste actuelle, l’information est instantanée, abondante et souvent négligée, Spielberg, en bon papy du cinéma traditionnel et de divertissement, nous sert une soupe savoureuse, didactique et très moderne.
Comme MOLLY’S GAME ou bien 3 BILLBOARDS OUTSIDE EBBING, MISSOURI, sortis quelques semaines avant, ce PENTAGONE PAPERS fait la part belle aux femmes, en portraiturant Katharine Graham, première directrice d’un grand journal américain (Washington Post) et confirmant la volonté d’Hollywood à évoluer en proposant plus régulièrement des œuvres portées sur des personnages féminins.
Contrairement au long-métrage d’Aaron Sorkin, le personnage principal féminin est bien moins extravagant et bien plus effacé. La faute à une époque (on est en pleine guerre du Viêt-Nam, début des seventies) ou le statut de la femme est encore précaire, cantonnée au rôle de ménagère et de mère de famille.
Le personnage de Katharine va, néanmoins, au fur et à mesure de l’intrigue, évoluer vers une position plus affirmée. Elle va se révéler être forte et courageuse, corroborant sa détermination à faire évoluer les idées préconçues et les valeurs d’une Amérique conservatrice.
Bien que la composition de Meryl Streep soit quelque peu agaçante (le face à face Streep-Hanks étant, d’ailleurs, remporté haut la main par ce dernier), son jeu tout en retenue et en élégance tape juste quand il le faut.
Cette femme, constamment entourée d’hommes, évoluant dans un milieu d’hommes, en tirant son épingle du jeu, ouvre la voie vers une reconsidération de la place de la femme dans la société de l’époque et également vers une démocratisation de la liberté d’expression de la presse. Spielberg réussi le combo parfait au meilleur moment.
Au surplus, le cinéaste américain se fait plaisir au niveau de la mise en scène. Alors que sa réalisation semblait s’effacer de plus en plus, au fil de ses dernières productions, elle est ici particulièrement saisissante.
Alliant plans séquences dantesques, travellings fluides et rythmés, inserts et autres plans, soit, en forte contre-plongée, soit, en plongée très appuyée, le réalisateur américain offre un spectacle visuel maîtrisé et absolu.
Spielberg, qui avait tendance à troquer sa réalisation contre un scénario et une intrigue à laquelle il donnait l’impression d’uniquement louer ses services de narrateur de génie, démontre, ici, qu’il n’a rien perdu de ses qualités de pourvoyeur d’images et de son sens de l’esthétisme. Bien qu’au service du récit, l’américain, particulièrement inspiré, agence sa réalisation avec ce qui se passe à l’écran, avec les enjeux qui planent au-dessus des personnages (exemple le plus éloquent étant cette plongé sur une Meryl Streep acculée, au téléphone). Le film devient alors chirurgical, Spielberg en chef d’orchestre, manie la baguette avec une certaine virtuosité, harmonisant tous les éléments de son œuvre, dans les moindres détails.
Quelques regrets sont, néanmoins, à relever comme ce maniement du suspens dans le climax final qui n’a pas vraiment lieu d’être, connaissant déjà le fin mot de l’histoire (éternel soucis quand il s’agit d’adapter un fait réel), rendant cette partie cruellement superficielle.
Dommage aussi que le metteur en scène n’évite pas la petite note sentimentale qu’on lui connait, mais qui ici, arrive comme un cheveu dans la soupe, trop caricaturale et redondante.
Durant toute la durée de PENTAGONE PAPERS, on ressent cet amour inconsidéré que Steven Spielberg a pour la profession journalistique, également pour toute la technique d’impression de l’époque (qui a droit à sa petite séquence). Il nous le partage et s’efforce de le faire de la meilleure façon qui soit…
Voilà ce que c’est, au fond, le cinéma, de l’amour et du partage.