Grace à la signature de Boris Karloff pour trois films d'épouvante en 1945, La RKO effectue un retour salvateur à la série B son créneau d’origine après avoir un court instant, sous l'égide de Jack J. Gross venant d'Universal, tenté une incursion dans les productions de prestige. Les échecs cuisants de "Enchanted Cottage" (John Cromwell en 1945) et de "China Sky" (Ray Enright en 1945) ont été les déclencheurs de ce retour aux sources.
C'est bien sûr Val Lewton ayant fait des merveilles avec Jacques Tourneur sur "La féline" (1942), "Vaudou" (1943) et "L'homme léopard" (1943) qui orchestre la production de "L'île des morts" dirigé par Mark Robson, monteur sur deux de ces films. Écrit par Ardel Wray, déjà présent sur "Vaudou", le scénario et la mise en scène de Robson emprunte beaucoup à l'univers visuel de Jacques Tourneur.
Stationnant aux abords d'une petite île grecque lors de la guerre des Balkans en 1912, les troupes du général Pherides (Boris Karloff) sont
décimées par la peste. Le général embarque pour l'île avec un jeune reporter de guerre (Marc Cramer) afin de rendre hommage à la sépulture de son épouse défunte. Celle-ci est vide. Le chant d'une jeune femme fait penser aux deux hommes que l'île n'est pas déserte. Il se rendent dans la seule habitation où séjournent chez une vieille femme grecque, un archéologue et quelques autres convives. Le général et le reporter passent la nuit dans cette auberge improvisée. Mais le sirocco a amené la peste sur l'île et le général déclare une mise en quarantaine.
L'île, reproduction exacte du tableau éponyme (une série de cinq tableaux en réalité) du peintre suisse Arnold Böcklin (1886) devient dès lors le théâtre d’un huis clos étouffant où chacun des huit personnages va réagir face à la mort qui rôde. Le rationalisme du général va se confronter aux croyances de la vieille femme grecque qui voit dans cette épidémie la résurgence des vrykolakas, sorte de morts-vivants venus venger les profanations de tombes survenues quinze ans plus tôt.
Plutôt alambiqué et mal articulé le scénario n'est pas d'une fluidité qui contribue à l'intérêt du film.
Il faut donc s'en remettre à l'atmosphère éthérée distillée par Mark Robson, efficacement secondé par Jack MacKenzie pour la photographie et Leigh Harline pour la musique si l'on veut se laisser impressionner par cette "Île des morts" qui en sus de nous offrir un Boris Karloff succulent ayant endossé pour l'occasion la perruque d'Harpo Marx, dégage une impression étrange de temps suspendu qui sera brutalement interrompue par une fulgurance horrifique unique mais du meilleur effet. Un film curieux et un peu bancal qui vaut malgré tout le détour tout en restant bien loin de la perfection des films de Jacques Tourneur précités.