Mon cher Bruno.
Mais où as-tu retrouvé mon personnage : dans une vieille valise de livres de ta grand-mère ou de ton arrière-grand-mère ? Moi je suis née en 1905 et j’étais déjà à cette époque bonne à tout faire.
Quand j’ai appris que tu allais faire un film sur moi, je me suis dit « ouille ouille ouille !». J’étais quand même assez satisfaite d’être tranquillement un peu oubliée. Dans les dictionnaires, à Bécassine on trouve Femme stupide ou ridicule et dans le Larousse Jeune fille sotte ou naïve et un peu niaise…. J’ai même été choisie autrefois par le bébête-show pour incarner Jean-Marie le Pen ! la honte ! On me regarde toujours comme une caricature humiliante de la bretonne, comme le nègre d’une vieille boite de Banania.
Alors j’ai regardé tes films et ça m’a un peu rassurée : je t’avais vu au Rencontres des Cinéma d’Europe à Aubenas en Ardèche où tu présentais Comme un avion. Je me suis dit que si c’était toi qui jouais mon rôle ce serait chouette car le personnage de l’aventurier en kayak me ressemble un peu.
Faire un film sur moi ! Tu allais ressusciter le mépris, voire la haine, que les bretons ont pour mon personnage ; ah ça, pour eux, je ne suis pas leur cousine ! je suis soit disant un océan de stupidité, l’anti MLF, la conne de caricature se laissant exploiter par la bourgeoisie parisienne… et j’en passe et des meilleures. De la Bretagne dans ton film, il n’en est pas question : pas de biniou ou bombarde, pas de coiffe, pas de far ou de crêpes… même pas d’accent plouc comme dans un film à la Pagnol. Tu m’as débretonisée… et c’est bien
Alors, maintenant que j’ai vu le film : merci Bruno. Car en vrai, je suis comme dans ton film : mes idées sont farfelues mais pleine d’évidences, tu as montré mes qualités : je suis tendre, rêveuse, enthousiaste, efficace. J’ai du bon sens paysan mais nettement moins conne que la marquise qui toute guindée se laisse plumer comme une bécasse.
Avec toi j’ai de la chance. Comme Tintin en a eu avec Spielberg (mais si j’aurais bien aimé remplacer le texte sous images par des bulles qui n’existaient pas en 1905, je n’aurais pas trop apprécié être en relief 3D) ; j’ai eu avec toi plus de bol que mon alter-égo masculin Gaston Lagaffe : quelle sinistrose le film dont il est affublé ! C’est un copain et il n’est pas content du tout.
J’aurais aimé que tu me réserves plus de regard vers la caméra : j’aurais voulu mieux voir les sourires et le bonheur sur les visages des spectateurs, voire sortir de l’écran pour aller dans la salle comme dans La rose pourpre du Caire de Woody Allen. Je suis sûre que c’est un truc que je peux faire.
Je t’embrasse. Si tu reviens à Aubenas pour des futures Rencontres je reviendrai te voir.
Bécassine
PS : Ce que tu as dit dans une interview au Figaro m’a bien fait plaisir, enfin quelqu’un qui me comprend, depuis 1905 il était temps : « Bécassine n'est pas la fille un peu niaise et stupide que l'on croit. Elle est naïve, certes, et candide, mais aussi curieuse et inventive. Elle a une âme d'enfant dans un corps d'adulte. Dans ce film, je voudrais montrer Bécassine telle qu'elle est: fidèle, sincère, spontanée, innocente, tendre, rêveuse, enthousiaste », Le Figaro 6 septembre 2017.