Adaptation d’un roman graphique de Fermin Solis paru en 2011, ce long-métrage traite d’un sujet pour le moins inattendu dans un film d’animation puisqu’il y est question d’un épisode bien réel du parcours artistique du cinéaste Luis Buñuel. Après avoir réalisé un court-métrage (« Un chien andalou » en 1929) puis son premier long-métrage (« L’Âge d’Or » en 1930), ce dernier se retrouve non seulement ruiné mais dans l’impossibilité de poursuivre son travail de cinéaste. En effet, après le scandale provoqué par « L’Âge d’Or », film anti-bourgeois et violemment anticlérical (on peut d’ailleurs noter, me semble-t-il, la pertinence de cet anticléricalisme qui ne faisait que fustiger à bon escient ce contre quoi s’élève le pape François aujourd’hui, autrement dit précisément le cléricalisme et ses dérives ainsi que l’hypocrisie d’un nombre non négligeable de clercs), après ce film qui a déclenché les foudres du Vatican, toutes les portes se ferment pour le cinéaste.
Abattu, Buñuel part rejoindre un de ses amis, le sculpteur anarchiste Rámon Acín, tout en projetant de filmer un documentaire dans les Hurdes, la région la plus misérable de l’Espagne d’alors. Mais, sans aucun moyen financier, le projet a peu de chance d’aboutir. C’est alors que survient le plus improbable des miracles. Acín achète un billet à la loterie tout en promettant au cinéaste que, s’il gagne, il fera don de la somme entière pour la réalisation du film. Or, aussi incroyable que cela puisse paraître, le billet est gagnant.
Avec le concours du poète Pierre Unik et du photographe Eli Lotar qui les rejoignent sur place, Buñuel et Acín entreprennent donc de filmer la vie pitoyable des habitants des Hurdes. La réalisation n’est pas de tout repos, on s’en doute, dans un tel contexte. Buñuel semble avoir tourné la page des deux films surréalistes qui l’avaient rendu célèbre, mais ce n’est qu’en apparence et, à la moindre occasion, l’artiste provocateur reprend le dessus. C’est le cas quand il décide de tourner des scènes en habit de nonne ( !) ou lorsqu’il filme l’agonie d’un âne piqué par des milliers d’abeilles. Peut-être n’y a-t-il là, d’ailleurs, qu’une manière de se protéger, en quelque sorte, en détournant le regard, des conditions épouvantables dans lesquels vivent ou survivent les habitants des Hurdes.
Pour raconter la genèse du film qui prendra pour titre français « Terre sans pain », Salvador Simò a conçu et réalisé un long-métrage qui, certes, ne brille pas spécialement par la qualité des dessins et des animations, mais qui passionne littéralement par la subtilité de son scénario. Au récit linéaire de la fabrication de « Terre sans pain », des difficultés rencontrées par l’équipe, au point qu’une brouille en vient à séparer, pour un temps, les amis avant qu’ils ne se réconcilient, le réalisateur a habilement adjoint quelques-unes des scènes réelles tourné dans les Hurdes, mais aussi quelques flashbacks ainsi que quelques rêves ou, plutôt, cauchemars. Buñuel est un homme hanté par des figures tutélaires, celle de son propre père mais aussi celle de Salvador Dali (dont il ne veut pas entendre parler) et c’est aussi un homme qui, sous une apparence rude, laisse entrevoir des fragilités (ainsi son étrange phobie des poules et des coqs) !
Nul besoin d’être un admirateur ni un grand connaisseur de l’œuvre de Buñuel pour apprécier ce film d’animation, il suffit de se laisser toucher par l’histoire d’une obstination artistique, par celle d’une amitié qui se relève de toutes les épreuves et par l’épouvantable misère qui était le triste lot des habitants des Hurdes en 1930.