Dans un effroyable et fascinant roman que j'ai lu récemment, une ado surdouée est tyrannisée par son père psychopathe, qui la transforme en une guerrière experte en armes à feu et la rend apte à la survie en milieu naturel. Il est bien sûr incestueux et la nomme "my absolute darling", ce qui donne son titre au roman. Dans "Leave no trace", la jeune Tom est aussi pour son père Will une absolute darling, à ceci près qu'ici il n'est aucunement question d'inceste ni de tyrannie, mais de profond respect. Will, ravagé par son passé de vétéran, s'est accroché comme un fou à sa mission de père aimant et réussit à faire de son enfant une jeune fille solide, fine et sensible, en dépit de la rude vie hors-norme qu'il lui impose faute de pouvoir se fondre dans le monde de ses semblables. Ce film, qui raconte leur histoire vraie je crois, est une plongée magnifique dans une Amérique de la marge suscitant l'enthousiasme, à des lieues de la consternante catastrophe Trumpienne. Entre cet homme brisé et sa fille, l'amour n'a pas besoin de mots, il crève l'écran et leur séparation, poignante mais inévitable, se fait dans un immense respect réciproque. La fin ouverte du film est le début d'une histoire à inventer mais dans cette histoire, l'amour donne des raisons d'espérer en l'homme, malgré tout... Balade hors des sentiers battus qui nous rend notre amour d'une Amérique rêvée, celle de Thoreau et de London, cet excellent opus de Debra Granik est l'occasion de faire connaissance avec la jeune Thomasin Mc Kensie (Tom), impressionnante dans son rôle d'elfe bénie des dieux malgré les coups du sort. Il permet aussi à Ben Foster, dans le rôle du père, de nous en mettre plein la vue à force de sobriété, tant l'expression des sentiments passe, tout le long du film, par autre chose que les mots. Magnifique, vraiment !