Radioactive ose esthétiser le biopic, irradier en quelque sorte le biographique d’une inventivité formelle composée de filtres colorés, de plans étrangement cadrés, d’une musique mi classique mi électronique envahissante et déconcertante. Nous ne pourrons pas reprocher à Marjane Satrapi de ne pas avoir cherché à s’approprier une figure majeure de la science, de la dépoussiérer en quelque sorte. Néanmoins, nous lui reprocherons une appropriation excessive dans laquelle la finalité semble moins la justesse historique que l’exploration d’une fantaisie personnelle souvent malvenue, voire impropre pour traiter de Marie Curie, d’autant plus impropre qu’elle débouche rarement sur du cinéma. Le long métrage affiche un visage en demi-teinte : il rappelle efficacement que la radioactivité est découverte dans un temps marqué par un goût pour les sciences occultes, le spiritisme, le magnétisme, le charlatanisme etc. ; si bien que la science elle-même influence ou exploite ce qui est extérieur à elle, à l’instar de cette « intuition » qui guide les époux scientifiques. La frontière entre science officielle et science alchimique reste poreuse, tant les pratiques s’apparentent à l’application de formules magiques. Le travail esthétique de Satrapi, en ce sens, fonctionne : il raccorde la science à ses fréquentations avec le songe et l’intuition, avec l’idée qui peut n’être que supposition, fantaisie individuelle. Le problème réside alors dans la trajectoire chronologique et biographique suivie par le film : il ne s’agit pas là d’une fantaisie inspirée de la vie de Marie Curie, non l’ensemble se présente comme un récit fidèle de son existence, ponctué par ses découvertes, ses distinctions, ses moments de joie et de malheur. Dès lors, la facticité résultant de la recherche formelle est incompatible avec un traitement sérieux de l’Histoire : la scène où Marie et sa fille partent au front aider les soldats est, par exemple, peu crédible ; tout est trop propre, trop lissé, rattrapé par le besoin obsessionnel d’esthétisation. De même, les charges féministes s’avèrent grossières et forcées, conséquence d’une illusion rétrospective. Si l’humour réussit cependant à concilier les deux pôles – le pôle artistique, le pôle historique –, l’équilibre demeure fragile, à l’image du radium. La réalisatrice aurait gagné à censurer ses ambitions esthétiques, mieux à les subordonner à la reconstitution historique, au lieu d’en faire la finalité de son geste. Reste un film intrigant et bien interprété par Rosamund Pike, mais qui manque de cinéma.