De « Persepolis » à « The Voices », Marjane Satrapi continue d’explorer ces maux qui malmène la minorité sociale ou des personnages en décalage avec une époque peu progressiste. L’exemple de Marie Curie lui offre ainsi la possibilité de se renouveler, mais c’est en manquant de peu le carrosse, qu’elle manque par la même occasion de brosser le portrait d’une femme qui se définit bien plus que par ses travaux et sa place dans l’Histoire. Epaulée par le scénariste Jack Thorne, la réalisatrice peine ainsi à illustrer toute la noblesse et tout le symbolisme que la scientifique dégage, ainsi que tout ce qu’elle a laissé pour sa postérité. L’œuvre ne compte que sur une narration des plus linéaire et des plus maladroites lorsqu’il s’agit de sonder un état d’esprit.
L’héroïne est scientifique, l’héroïne est Polonaise, l’héroïne est évidemment une femme, mais elle est avant tout humaine. C’est ce que l’on cherche absolument à rendre visible, mais c’est sans compter sur les contraintes des faits historiques, qui ne laissent pas de place à la personne ou bien ce n’est qu’effleuré. Dans un manque de rythme évident, le film poinçonne des étapes sans prendre du recul sur son discours, notamment sur la force et l’indépendance d’une Marie (Rosamund Pike) dont on prend le contrepied. Le contraste entre la raison scientifique et la passion l’amènent à croiser son destin avec Pierre Curie (Sam Riley), le catalyseur de l’intrigue. On s’attarde alors peu sur le concept de radioactivité en lui-même et on préfère en illustrer les dérivés, par le biais d’une narration qui a choisi de ne pas les induire. L’influence néfaste de l’homme du siècle dernier, celui qui se l’est approprié, tranche avec les ambitions de la scientifique en manque de repères et pourtant fière de ses racines. Satrapi ne sait sans doute plus comment réinventer sa mise en scène et tombe dans des facilités déconcertantes, notamment sur l’impact du radium sur la vie de la doublement Nobélisée Marie Curie.
Sur le plan, sentimental, c’est un échec d’écriture, sauf pour des fragments de vie qui redonnent toute sa vaillance et son orgueil. Il serait immanquable de ne pas capter cette puissance dans un discours engagé et qui transcende les générations. Mais il ne faudra pas patienter jusqu’à ce qu’un flashforward hasardeux vient interrompre une continuité, il faudra simplement écouter et se mettre à la hauteur d’une femme qui ne réclame que justice et reconnaissance, ce que la société ne peut lui accorder, soit par volonté, soit par aveuglement, ce qui est encore plus irritable connaissant les enjeux d’un futur proche. De même, la famille au féminin ne trouvera pas toujours cette flamme qui anime la seule ambassadrice qui porte un intérêt, ou alors ses travaux au fur et à mesure délaissés, puis récupérer afin d’investir les faits historiques quant au procédé de radiologie.
Antérieur à la référence, souvent utilisé à tort ou à outrance, d’Albert Einstein, « Radioactive » souhaite remettre les choses dans l’ordre, tout en marquant un point de rupture chez Marie Curie, exceptionnelle et nuancée lorsqu’elle s’engage dans une démarche scientifique. Mais sans protocole, sans restriction, la confusion n’est qu’un des sentiments qui empoisonne une œuvre dont les personnages souffrent déjà assez de leur condition et qui manœuvrent malgré tout vers l’humilité et le succès, celle qui se gagne grâce à un accompagnement, chose maladroitement exploitée et qui nous est donc interdit. Ne sachant pas quoi choisir entre détailler les faits scientifiques et raconter le combat d’une femme de science, le film se fourvoie et convoque rarement ces deux idées dans un même plan. Si cela avait pour objectif d’illustrer la division des communautés autour d’une découverte dont on ignore volontairement l’origine et l’identité, cela aurait mérité un parti pris plus audacieux et surtout moins académique. Néanmoins, l’hommage reste sincère.