En 1893, être femme, polonaise, en France, féministe avant l’heure, qui plus est ultra brillante, complexée de supériorité, tête de cochon, moquée pour tout ça, et où l’on croit dur comme fer que la matière est stable par définition, c’est autre chose pour Marie Curie, 25 ans, que d’être femme en 2020, européenne, où la femme a pris sa revanche sur le traitement infligé par les hommes depuis des lustres, dans tous les domaines ––bien qu’on croie de nouveau tout savoir et tout supputer de la matière et de son origine ! C’est le contenu de ce film. Même si le spectateur scientifique aimerait découvrir davantage le détail des cahiers de brouillon de Marie Curie, pour voir (à l’instar de Einstein) le cheminement qui conduit contre les idées préconçues, ce n’est quand même pas le but de l’auteur. On entend juste des morceaux de pensées telles que "ça ne se comporte pas comme ça devrait". Le film est centré sur autre chose que la science, bien qu’il n’y ait que ça dedans. Il est centré sur une femme de ce temps, sur son extravagance (pas encore celle de Coco Chanel qui n’a que 10 ans en 1893), mais à qui son futur mari dit "j'aimerais partager ma vie avec vous", et non "je vous aime". Centré sur ses souffrances aussi, car c’est un être humain, qui peut aussi dérailler, comme lorsqu’elle demande à un médium "faites apparaître mon mari", désespérée par la mort de ce dernier. C’est aussi quelqu’un qui, bien que sifflée (injustement), organisera quand même des soins efficaces pour les blessés de la guerre de 14-18. Bref, un être exceptionnel. C’est pourquoi il faut voir ce film. Et celle qui l’interprète vaillamment (l’excellente artiste anglaise Rosamund Pike). L’auteur a pris le parti de la montrer, à la fin de sa vie, "revoyant" quantité de choses qu’elle n’a jamais pu "voir" (les conséquences du progrès scientifique). C’est une idée : celle de l’auteur (Marjane Satrapi). Mais il ne faut croire pour autant que tous ceux qui s’émerveillent de tout, ou qui en ont besoin, comme elle, ont toujours l’élévation permettant de prévoir le pire et le meilleur ––la photo finale du film sur le congrès de Solvay de 1927, où les plus grands scientifiques du moment sont autour d’elle et d’Einstein, ne montre pas que des génies capables de sagesse ou de prémonition. A.G.