La réalisatrice polonaise Agnieszka Holland a déjà fait plusieurs films sur des chapitres sombres de l'histoire contemporaine en Europe comme Sous la ville. Elle a aussi mis en scène des épisodes de la série House of Cards. "On ne m'avait jamais demandé de faire un film sur l'Holodomor. Cela faisait un moment que j'y songeais et que je disais qu'il y a encore beaucoup de crimes commis par le régime communiste dont on ne parle pas. Le monde n'est pas au courant de ces crimes, alors que l'Holocauste est un fait connu dans l'Histoire de l'humanité. Même les Russes et les habitants des républiques anciennement soviétiques ne parlent pas des crimes commis au nom du communisme, alors que Staline a tué plus de 20 millions de ses propres citoyens ! Lors d'un sondage réalisé l'année dernière me semble-t-il, les gens ont élu Staline plus grand leader russe de l'Histoire. Pour bien comprendre à quel point c'est monstrueux, et l'influence que cela doit avoir sur la politique en Russie, il faut imaginer ce qui se passerait si les Allemands choisissaient aujourd'hui Hitler !"
Holodomor est un nouveau terme forgé en Ukraine pour définir l’extermination par la faim et son caractère intentionnel. En l’espace de deux ans, de l’été 1931 à l’été 1933, près de 7 millions de Soviétiques, dans leur immense majorité des paysans, moururent de faim au cours de la dernière grande famine européenne survenue en temps de paix : 4 millions en Ukraine, 1.5 millions au Kazakhstan et autant en Russie. A la différence des autres famines, celles de 1931-1933 ne furent précédées d’aucun cataclysme météorologique. Elles furent la conséquence directe d’une politique d’extrême violence : la collectivisation forcée des campagnes par le régime stalinien dans le double but d’extraire de la paysannerie un lourd tribu indispensable à l’industrialisation accélérée du pays, et d’imposer un contrôle politique sur les campagnes, restées jusqu’alors en dehors du « système de valeurs » du régime.
Le protagoniste de L'ombre de Staline, le jeune journaliste gallois Gareth Jones, se rend célèbre par la publication de son article retraçant son voyage en avion avec le nouveau chancelier allemand - Adolf Hitler. Jones profite de sa situation politique au sein du gouvernement britannique en tant que Conseiller aux Affaires Étrangères auprès de David Lloyd George pour obtenir un accès privilégié à l’Union Soviétique. Il suit effectivement de près le contexte politico-économique en Russie, en quête de son prochain grand sujet. À Moscou, Jones apprend que le gouvernement a provoqué la famine en Ukraine, information tenue secrète par les Soviétiques. Il parvient à se rendre sur place et prend des notes sur les atrocités dont il est alors témoin. Il affronte également la crainte et l’hypocrisie vécues non seulement par les citoyens soviétiques mais aussi par les correspondants et les politiciens occidentaux qui ont trahi pour la gloire et le profit.
Gareth Jones est équitable, honnête, noble dans sa conduite. C'est le genre de héros qu'on voit rarement dans les films ces derniers temps, car les scénaristes préfèrent souvent des personnages retors et sombres. "Le rendre un peu moins chevaleresque uniquement pour "vendre" ce personnage n'aurait pas été juste par rapport au vrai Jones. Cependant, j'ai travaillé en effet avec James Norton (qui joue Jones) pour rendre son personnage aussi réaliste que possible, pour qu'on puisse se rapporter à lui. Nous l'avons rendu un peu maladroit, un peu rat de bibliothèque, un peu insistant. Quand il veut séduire, c'est toujours avec le même petit poème ridicule sur "la bataille des arbres"... Donc son personnage a d'autres couleurs que simplement un blanc immaculé", confie Agnieszka Holland.
La clef de l’histoire, selon la réalisatrice Agnieszka Holland, est l’intrigue de George Orwell lorsqu’il écrit son célèbre roman dystopique allégorique La Ferme des animaux. En découvrant le massacre des paysans ukrainiens, le journaliste Gareth Jones inspire d’une certaine manière le récit de George Orwell et en devient partie intégrante (le fermier du roman s’appelle Mr. Jones). "Nous tenions à ce que le film soit simple et réel ; nous avons employé des procédés stylistiques pratiquement invisibles, à l’exception des moments où nous voulions mettre en avant les mouvements, l’énergie, l’appétit de Jones pour la vérité : nous avons alors puisé notre inspiration dans l’avant-gardisme soviétique."
Agnieszka Holland est convaincue que le cinéma peut introduire certains faits et événements dans le récit mondial de l'histoire des hommes et les intégrer dans un niveau de conscience plus vaste. Selon la cinéaste, le cinéma a joué un rôle crucial dans le discours sur l'Holocauste, notamment aux États-Unis, et il a aussi changé l'attitude des Allemands. "Après la Seconde Guerre mondiale, presque personne ne parlait de l'Holocauste ; seules quelques histoires sur des juifs cachés circulaient. Il a fallu attendre des décennies pour que les gens commencent vraiment à en parler. La première production qui a fait entrer ce sujet dans le débat est, je crois, une série télévisée diffusée en 1978 qui s'intitulait Holocaust. Elle était kitsch, mais elle a fait beaucoup d'effet aux gens. Quand j'ai fait Europa Europa (Golden Globe du Meilleur film étranger et nominé aux Oscars), en 1990, il n'y avait pas encore beaucoup de films sur le sujet. Et puis il y a eu La Liste de Schindler et beaucoup d'autres ont suivi. L'impact de ces films a révélé le vrai pouvoir du cinéma : sa capacité à éduquer les gens et à générer de l'empathie."