Sur le papier, le film de Martin Bourboulon a tout pour plaire. Et on s’étonne que le cinéma ne soit jamais réellement penché, avant lui, sur la grande histoire de ce grand monument. Du coup, il faut l’avouer, on attend beaucoup de « Eiffel » avant d’entrer dans la salle, on attend du film qu’il soit à la hauteur de son personnage principal : la Tour. Martin Bourboulon avait tout pour faire un grand film : un sujet en or, un casting soigné, Alexandre Desplat à son service, des effets spéciaux de qualité. Comment diable, avec de tels ingrédients, a-t-il réussi à rater son film ? Parce que oui, je le reconnais, je suis sortie déçue de la projection, et même un peu énervée pour tout dire. D’abord, « Eiffel » n’a pas le souffle épique qu’on aurait pu espérer. Les flash back, nombreux (et qui ont une fâcheuse tendance à tomber comme un cheveu dans la soupe), sont trop longs, trop mièvres, trop sirupeux et pour certains même carrément inutiles. Ils tournent uniquement autour de l’histoire d’amour avortée d’Adrienne et Gustave, 20 ans auparavant. Si on met de côté ces flahs back qui nous font flirter avec l’ennui, on se retrouve quand même devant un film qui aurait pu, qui aurait dû, être 10 fois plus spectaculaire sur les scènes de chantier. Bouboulon a beau avoir bénéficié d’une reconstitution de Paris très soignée, il ne tire pas tout ce qu’il aurait tiré d’un chantier de cette taille, le manque d’ambition du film est un peu cruel. On garde quand même une belle scène, celle de la jonction du premier étage. D’ailleurs, on peut mettre à son crédit aussi un vrai souci de rendre intelligible par le spectateur des questions techniques assez pointues. La musique d’Alexandre Desplat est omniprésente (trop), pas désagréable même si je l’ai souvent trouvé Desplat plus inspiré que pour cette bande originale là, un peu passe-partout. Sans être trop long dans son ensemble (1h50), le film souffre de trous d’air qui donnent l’impression qu’il s’étire un peu trop. Il y a un petit problème de rythme dans « Eiffel ». Je ne trouve rien à redire sur Emma Mackey, qui est délicieuse et qui joue très correctement la partition qui est la sienne, sauf qu’entre il y a 1869 et 1889, il n’a pas réellement vieilli, ce qui est charmant mais un peu déroutant. Ce n‘est pas le cas, en revanche, du personnage de Gustave Eiffel qui est absolument craquant quelle que soit l’époque ! Le charmant Romain Duris (que moi j’aime bien, je sais que ce n’est pas le cas de tout le monde) campe un Gustave Eiffel assez fragile, vite dépassé par ses émotions (alors qu’il est censé avoir 50 ans minimum), il est solide quand il faut aller sur le chantier rassurer des grévistes ou à la banque pour obtenir des fonds, mais émotif comme un adolescent devant son Adrienne, son premier amour, celle qui a brisé son cœur. Après tout pourquoi pas, je n’ai rien contre le romantisme et la fragilité, et même les grands hommes ont des moments de doute, de chagrin et de fragilité. Mais là, je ne sais pas bien pourquoi, il faut se faire un peu violence pour y croire, à cette histoire d’amour contrariée. Le vrai mystère de « Eiffel », c’est comment Bouboulon et ses scénaristes ont pu louper le coche en nous offrant, au final, une comédie romantique ? Il y avait tout pour raconter une histoire forte : un projet unique au monde, un chantier colossal, des soucis avec les riverains, les pisse-froids, la presse, les banques, les politiques, les risques d’accident, les écueils techniques, le calendrier à tenir impérativement, la question presque philosophique du Beau, de l’Art et de son utilité, et au final on se retrouve devant une comédie sentimentale ! Tous ces sujets là sont évoqués, oui, mais de façon anecdotique.
A la place, on se retrouve devant un film qui nous explique que si la Tour Eiffel a la forme d’un A, c’est que c’est l’initiale d’Adrienne ! On frémit à l’idée que la belle se soit appelée Solange ou Emilienne !
Le générique le précise, c’est une histoire très librement inspirée de faits réels, tout est dans le « très librement ». Je ne suis pas sûre que Gustave Eiffel, de là où il est, soit réellement honoré par le film de Bourboulon. Au final, on se retrouve avec un immense monument, un très grand ingénieur et un petit film.