Eva Husson s'est intéressée à ce projet il y a trois ans, après être tombée sur des récits de femmes captives qui s’étaient échappées et avaient pris les armes. Emerveillée devant ces témoignages, la cinéaste avait expliqué, au micro d'AlloCiné, lors du dernier festival de Cannes (où le film était présenté en compétition) : "Je me suis dit : c’est fou, si en lisant un article d’une demi-page, et en en lisant une quinzaine le même jour comme une espèce de frénésie, ça me provoque ce choc émotionnel, c’est qu’il y a quelque chose de très fort dans la lettre, l’esprit de cette histoire, et que ça vaut le coup d’être relayé."
Husson s'est également rendue compte, petit à petit, que ces récits correspondaient à sa propre histoire, puisque son grand père était soldat républicain et communiste, et son frère anarchiste. Elle raconte : "Il y avait une guerre fratricide qui me fait beaucoup penser à ce qui se passe à l’intérieur de la communauté kurde sur place. La lutte pour un idéal. Ça se déployait en moi, d’une manière extrêmement organique et ça faisait sens."
Le film a été présenté en compétition au Festival de Cannes 2018.
Si, pour son précédent film Bang Gang (Une Histoire D'Amour Moderne), son casting était majoritairement composé de jeunes acteurs plutôt méconnus (à l'exception du très à la mode Finnegan Oldfield), Eva Husson a confié les personnages principaux des Filles du soleil à deux comédiennes chevronnées. Ainsi, Golshifteh Farahani joue la combattante kurde Bahar et Emmanuelle Bercot incarne la journaliste de guerre borgne Mathilde.
Mathilde, ce personnage de reporter chevronnée et tourmentée, est jouée par Emmanuelle Bercot, réalisatrice de La Tête haute (2015) et actrice principale de Mon Roi sorti la même année. Pour l'écrire, Eva Husson s'est inspirée des personnalités propres à deux femmes reporters de guerre iconiques.
En premier lieu Marie Colvin, une journaliste américaine spécialiste du monde arabe qui est décédée en 2012 en Syrie, à 56 ans, lors d'un bombardement, alors qu'elle couvrait la révolution dans ce pays pour le journal britannique Sunday Times (elle se trouvait dans une maison transformée en centre de presse où d'autres journalistes ont été tués ou blessés). Comme le personnage de Mathilde, elle portait un bandeau sur l’œil gauche suite à un éclat de grenade dont elle avait été victime lorsqu'elle faisait un reportage au Sri Lanka.
Un film sur Marie Colvin existe d'ailleurs. Il s'agit de A Private War, sorti aux Etats-Unis le 16 novembre 2018. Réalisé par Matthew Heineman, un cinéaste issu du documentaire, ce biopic est porté par Rosamund Pike dans la peau de la reporter de guerre.
La deuxième grande figure du journalisme ayant inspiré Eva Husson est Martha Gellhorn (1908 - 1998). Cette dernière a commencé à travailler sur le terrain en 1936 pendant la Guerre d’Espagne et a, durant sa très longue carrière, couvert plusieurs grands conflits du 20ème siècle : le Débarquement de Normandie, la Guerre du Viêt Nam ou encore l'invasion du Panama par les Etats-Unis. Elle fut aussi présente au moment de la libération du Camp de concentration de Dachau par les troupes Alliés, ainsi qu'au procès d'Adolf Eichmann en 1961.
Pour Eva Husson, Mathilde constitue l'œil du spectateur sur le monde : elle est l’interlocutrice de cette femme capitaine de bataillon (Golshifteh Farahani) qui externalise certaines choses impossibles à montrer narrativement dans ce contexte. La réalisatrice explique : "Elle me permet aussi de réfléchir sur cette notion de femmes en guerre. Etant une reporter de guerre femme, elle a à la fois un regard interne de l’identité de femme sur le terrain de guerre, et en même temps un regard extérieur. Comme un prisme, qui nous permet de naviguer entre le contexte collectif et le contexte intime. C’est l’outil narratif du témoin."
Les Filles du soleil est dédié aux héroïnes. Eva Husson explique : "Je pense qu’en tant que femme, on souffre d’un énorme manque de représentation dans l’histoire et dans la fiction. On a une vision de ce qu’on est qui n’est pas complètement en adéquation avec le réel. Ce qu’on vit est une chose, et ce qu’on voit en permanence est un monde à dominante masculine. On a un regard sur nous même qui est très biaisé culturellement, qui n’est pas juste. Je pense que plus on sera de femmes à s’emparer de la représentation de nous-mêmes, plus on aura une vision adéquate de ce qu’on est. On n’est pas que des victimes au cinéma, on n’est pas que des femmes de, on n’est pas que des nanas d’à côté qui font fantasmer l’adolescent pré-pubère. Il y a énormément d’autres représentations. Un des enjeux que je voulais vraiment explorer là-dedans, c’était de représenter des femmes qui ont vécu des traumatismes, mais qui refusent d’être des victimes. Elles se battent pour leur dignité et une vision d’elle-même qui est différente."
Pour préparer le film, Eva Husson s'est rendue au Kurdistan et a essayé de rencontrer toutes les factions possibles du côté kurde. La cinéaste n'a pas voulu aller au contact d'extrémistes car elle estimait qu'il ne s'agit pas de son propos. Elle s'est en revanche rendue sur le front, et dans des camps de réfugiés, pour recueillir les témoignages de femmes qui s'étaient échappées. Husson se rappelle : "Je suis allé voir celles qui s'étaient engagées, et le personnage joué par Golshifteh Farahani est un personnage composite de tous ces témoignages. C'est aussi le fruit d'une forme de ressenti et des connexions très fortes que j'ai pu avoir avec elles."
Eva Husson a tourné avec beaucoup d’acteurs kurdes. La cinéaste se rappelle avoir eu un rapport très doux avec eux, lesquels ne l'ont jamais prise à parti. Elle explique : "La notion d’identité kurde, c’est comme l’identité catalane, elle est très complexe et personnelle, et chaque Kurde a sa version, tout aussi valide que celle de son voisin, de son identité. Mon travail c’était de faire en sorte que ça ne devienne pas un problème mais au contraire, que ça nourrisse chacun de leurs personnages. C’est quelque chose de très fort. Ne serait-ce que la langue. Ma priorité c’était d’abord de trouver de bons acteurs kurdes, capables d’être justes, or il y a peu d’acteurs professionnels kurdes et ils parlent souvent des dialectes différents."
Au niveau du traitement de la violence, deux choses posaient problème à Eva Husson. La première provenait du fait que, dans l’histoire du cinéma, la représentation de la violence contre les femmes est souvent proche du voyeurisme, avec parfois une victimisation intense de celles-ci. La cinéaste précise : "Je voulais déconstruire cette violence, raconter que pour ces femmes, elle est un jalon, certes traumatique, mais néanmoins un jalon, dans une histoire beaucoup plus ample. Les femmes ne sont pas définies par la violence qu’elles subissent. C’est pour cela que j’ai laissé certaines scènes de violence hors-champs, tout en gardant leur intensité. Le deuxième point, essentiel, c’est que j’avais un problème avec la rhétorique djihadiste, cette rhétorique de la terreur. Je ne voulais pas servir d’instrument de propagande. J’avais une seule scène où j’utilisais leur grammaire, où on voyait un petit garçon exécuter un otage. Je me suis dit que j’étais en train de tomber en plein dans leur piège, je ne l’ai donc pas utilisée."
Au moment où le projet Sale temps à l'hôtel El Royale en était à ses débuts, Tom Holland avait refusé un rôle dans le film. Idem pour Russell Crowe qui avait été casté dans la peau de Laramie Seymour Sullivan, que joue finalement Jon Hamm.