Après « Hippocrate » et « Médecin de campagne », Thomas Lilti continue (ou termine ?) son cycle sur la médecine en revenant aux sources : la fac et notamment, cette première année infernale et son fameux numerus clausus. Le film à beau durer à peine plus de 90 minutes, j’en suis sortie assez lessivée. En montrant (presque) sans discontinuer des jeunes gens en train de travailler, de réviser, de s’interroger, de répéter, de bachoter, il soumet son spectateur à un rythme répétitif et soutenu qui rend parfaitement compte de ce qu’est une année de préparation à un concours difficile. Le risque, pour Lilti, c’était que son spectateur ne décroche devant une sorte de spirale sans fin de scènes qui se répètent et se répètent encore. J’imagine que cet effet « saoulant » a du jouer négativement sur certains spectateurs mais pas sur moi. Je trouve au contraire qu’il n’avait pas d’autres manières de nous faire entrer dans son sujet, que s’il avait filmé et monté son film autrement, il aurait édulcoré une vérité qu’il connait bien. Peu de musique, pas d’effets de caméra éblouissants (mais deux-trois scènes de foule assez impressionnantes, notamment lors des examens), Thomas Liliti fait du cinéma-vérité et veut filmer au plus près de ses acteurs, il vaut filmer leur sentiments, leurs frustrations, leurs espoirs et leur épuisement. Pour cela, il a resserré son casting autour du duo Vincent Lacoste /William Lebghil. Autour d’eux, peu de seconds rôles : des parents (dont le père de Benjamin, qu’on voit peu à l’écran mais dont le rôle dans la vie se son fils est primordial autant qu’il s’avère toxique), des compagnons d’études, un jolie voisine, pas de quoi détourner l’attention. Vincent Lacoste tient un rôle assez similaire à celui qu’il a occupé dans « Hippocrate », celui du jeune homme qui fera un bon médecin parce que passionné et sensible. Cette sensibilité, que la première année de médecine semble avoir pour but d’éradiquer, est la marque des vrais médecins, ce ceux qui vous guérissent en plus de vous soigner. Il est touchant, même quand sa déception se meut en une rancœur cruelle envers Benjamin, on ne peut pas lui en vouloir, on ne peut pas ne pas la comprendre, même si elle est injuste. Pour moi la vraie révélation de ce film c’est William Lebghil, qu’après avoir vu à la TV on est heureux de retrouver dans un vrai grand rôle au cinéma. Son personnage à lui est tout aussi complexe que celui d’Antoine mais différemment. Le concours de première année pour lui c’est plus un challenge qu’autre chose, il n’a pas le feu sacré au fond de lui, il le sent bien mais n’en parle jamais : qui comprendrait autour de lui qu’il a les capacités de réussir cette première année du premier coup, de devenir médecin mais qu’il ne le sens pas, qu’il se cherche encore. Enfermé dans une rivalité silencieuse avec son père, il bachote parce qu’il faut bachoter, sans vision à long terme. Lebghil a abandonné la comédie pure de la TV pour un rôle d’une subtilité bienvenue, et il donne la mesure d’un talent prometteur, pourvu qu’on lui offre à l’avenir des vrais beaux rôles comme celui de Benjamin. Le scénario tient en deux phrases : vont-il réussir ce fichu concours tous les deux, et leur amitié naissante va-t-elle y survivre ? Lilti filme le concours, certes, mais bien d’autres choses aussi. Il filme une ambiance, celle de la fac de médecine et ses amphis bruyants et turbulents, avec son humour « dessous de la ceinture », la pointe de condescendance qui perle dans l’attitude des profs, des encadrants, des secondes années aussi. Il filme aussi l’amitié entre deux jeunes qui n’ont pas grand-chose en commun et qui est mise à l’épreuve de la concurrence au concours. Il filme la tension nerveuse inouïe qui entoure chaque résultat, chaque réussite et chaque échec. Il filme des parents qui n’ont pas conscience de ce que vivent leurs enfants, qui semblent déconnectés d’une réalité qu’ils n’imaginent même pas. Il filme enfin et surtout une première année qui broie les organismes, qui broie les psychismes, qui exacerbent les rivalités au-delà de l’acceptable. En résumé, il filme un concours qui ne filtre pas les futurs bons médecins des mauvais, il filme un concours qui formate des médecins à l’image de leurs ainés, les fameux « mandarins ». Tous ne deviendront pas des médecins maltraitants et imbus de leur pouvoir, bien sur, mais ceux là auront bien été servis par le système. En revanche, il y a deux trois choses que Lilti ne filme pas, comme le bizutage de première année. C’est vrai que désormais c’est illégal, alors ça n’existe probablement plus, n’est ce pas ? Il ne filme pas non plus, où alors de manière anecdotique, la concurrence féroce qui oppose les candidats. La blague du type qui emprunte tous les livres en bibliothèque pour empêcher les autres de travailler, ce n’est pas toujours une blague. Tous ceux qui ont un jour préparé un concours difficile (PACES, CAPES, Agreg…) le savent. C’est que Thomas Lilti, à l’image de la fin de son film, a voulu donner à « Première année » le ton de la comédie et de l’optimisme. Cette fin, qui peut paraitre déconcertante sur le moment, voire même incompréhensible, est bien plus subtile qu’elle n’y parait quand on y réfléchit après coup, à tête reposée. En résumé, « Première année » est une comédie douce-amère très réussie, pertinente et qui a le mérite de montrer à tous l’enfer qu’il faut affronter pour devenir médecin dans ce pays. On fantasme beaucoup sur cette première année de médecine, on pense que peut-être les anciens étudiants exagèrent cette expérience pour se faire mousser : aller voir « Première année » remet les choses en place. Non, ce n’est pas comme ce qu’on imagine,
c’est pire
!