Première Année articule de façon fort réussie l’infiltration d’un microcosme, en l’occurrence les études universitaires de médecine avec ses flux d’étudiants se déversant de part et d’autre des amphithéâtres étroits, et le portrait d’une amitié qui se noue et résiste aux intempéries de la compétition et de l’acharnement au travail. Ce croisement de la masse et du singulier engendre une attaque depuis l’intérieur et par le sensible du mode de sélection des futurs médecins, sélectionnés non pour l’humanité qu’ils investissent dans leur rapport aux malades mais pour leur capacité à s’automatiser telles des machines de combat, ayant un effet inverse à celui exigé par la profession. L’argument apparaît certes un peu facile, le propre du concours étant de départager les candidats. Néanmoins, le film révèle à quel point la difficulté autotélique peut conduire au découragement ou à la démence ; cette dimension s’incarne en Antoine Verdier, dont les aléas affectifs et émotionnels traduisent le broiement d’un corps et d’un esprit qui suffoquent à force de contraintes et de privations. Les belles années d’un âge de transition entre adolescence et âge adulte, entre le lycée et le métier à venir, deviennent une période de régression et d’ensauvagement, le sensible étant troqué par la paranoïa et la rivalité maladive. Première Année porte un regard chirurgical sur le milieu universitaire, témoignant du paradoxe qui veut qu’il faut en arriver à se faire hospitaliser pour, plus tard, hospitaliser à son tour, mais il n’oublie pas d’injecter dans son récit un certain sens du romanesque, tout entier contenu dans l’amitié qui unit malgré les difficultés les deux personnages, et en particulier dans la dernière séquence du long métrage, joyau improbable et puissant. Car l’amitié paraît seule à même de raccorder les deux étudiants à leur humanité, elle réinstaure l’importance du libre choix dans une prison à choix multiples, simple usine à concours. Thomas Lilti brosse ainsi, en creux, le portrait de personnages secondaires attachants et singuliers, de la voisine asiatique qui prend soin de Benjamin à cette candidate dont la sœur se déplace chaque jour pour déjeuner avec elle quinze minutes, contre deux heures de trajet… Ce que met en scène le long métrage est un héroïsme de la douleur vaine, celui qu’un système barbare et déconnecté des réalités contemporaines fait subir à plusieurs dizaines de milliers de jeunes ambitieux dont l’unique dessein est de vouloir sauver des vies.